Les ancêtres d’Edmond Bertreux, sont originaires de Saint Jean de Boiseau du côté paternel et de Bouguenais du côté maternel.
Sa mère Marie, née David, est la fille d’un patron pêcheur des bords de Loire vivant quai de la vallée à Bouguenais. Paul David a été immortalisé devant sa maison, dans sa plate, par Pierre Fréor. Bien plus tard, Edmond, son petit fils, devenu peintre immortalisera sur de nombreuses toiles ce paysage bucolique du bas de Bouguenais.
Son grand-père paternel, Jean-Marie, habite le village de Boiseau en
face de la place de la République où se trouve l’arbre de la liberté. Lorsqu'il a fini sa journée de travail à
Indret, il effectue des travaux agricoles dans sa vigne pour "mettre un
peu de beurre dans les épinards". Son fils Jean, le père d’Edmond
Bertreux, est dessinateur industriel aux Chantiers de la Loire à Nantes. Il est
par ailleurs peintre amateur et se retrouve régulièrement à
Saint-Jean-de-Boiseau pour y exécuter les paysages de cette commune avec ses
amis Félix Pavy et Marcel Denaud qui
partagent aussi cette passion. (Jean a offert quelques toiles à l’Amicale
Laïque, notamment celle représentant les foins sur la rivière réalisée à partir
d’une photo d’un autre Boiséen, Pierre Fréor).
2 - La jeunesse
d’Edmond Bertreux
Edmond
voit le jour le 22 octobre 1911 dans un hameau proche de Trentemoult au lieudit
« Northouse ». A la fin de la grande guerre,
l’activité fluviale y est très importante avec les derniers steamers revenant
des Antilles, cargos, chargés de charbon, phosphates ou bananes, reconnaissables à leur panache de fumée noire. Dans ce va
et vient incessant se mêlent les petits bateaux de pêcheurs et les roquios qui
assurent le transport des passagers de Trentemoult à Nantes. Ces images vont
s’imprégner dans sa mémoire et feront l’objet de quelques-unes de ses plus
belles toiles.
Dès ses premiers pas, Edmond accompagne son père sur les lieux où
celui-ci pose son chevalet pour peindre les paysages de sa région. Pierre
Fréor, l’ami de la famille est souvent présent pour faire quelques photos avec
son petit appareil qui ne le quitte pas. Nous lui devons les premiers portraits
d’Edmond vers 4 à 5 ans. Le jeune garçon passe ainsi de longues heures à
observer la transformation qui s’opère sur la toile, grâce aux mélanges des
couleurs sur la palette que l’artiste applique avec son pinceau jusqu’à obtenir
l’image stylisée de ce qui s’offre à sa vue. C’est mon père qui m’a donné envie de
peindre. Je le revois dans la grande salle à manger hollandaise dallée de
carreaux noirs et blancs, devant la fenêtre en train de peindre et je l’admirais
beaucoup.
C’est
à cet âge que le futur peintre nantais sera pris par la passion de jeter sur le
papier les impressions visuelles de la journée : « Mes premiers jouets ont été des crayons de
couleur, des petits pastels,
des peintures à l'eau, tout ce qui me permettait de dessiner. J'avais quatre ou
cinq ans. Rentré à la maison, je dessinais de mémoire, j'éprouvais ce besoin.
Comme je n'avais pas de papier à dessin, je crayonnais sur des papiers de
boucherie, des papiers jaunes, couleur paille ».
A 11
ans, il quitte son village pour rejoindre la grande métropole : Nantes. La
famille s’est agrandie. Edmond a désormais un frère,
René, et une sœur, Anne. Le logement devenu trop exigu, ses parents font dès
lors l’acquisition d’une maison, boulevard de la Liberté à Chantenay,
derrière l’église Sainte-Anne.
Sa scolarité se déroule sans problème et après l’obtention de son
diplôme du brevet élémentaire, son père désire l’orienter vers des études
d’ingénieur mais les mathématiques lui sont imperméables. Lui, n'a pas cet
objectif et peu apte à combler les souhaits de ses parents, il entre en 1927, à
16 ans, à l'école des Beaux-arts de Nantes. Deux ans plus tard, il est reçu au
concours d’entrée de l’école nationale des Beaux-arts de Paris mais son maître
Pierre-Alexis Lesage lui déconseille cet exil vers la capitale. « Restez donc au pays me dit-il et je
reconnais qu’il m’a rendu un fier service et je me suis ancré dans la région … »
Comme
Edmond vit toujours chez ses parents et que sa passion ne lui permet pas de
subvenir à ses besoins, il occupe un emploi comme auxiliaire au service vicinal
à la préfecture de Nantes. Il se lève à quatre ou cinq heures du matin et ...
peint avant de se rendre à son travail.
Régulièrement,
la famille se retrouve à Boiseau chez la grand-mère paternelle, Anne Bertreux
devenue veuve très jeune. Edmond se plait beaucoup dans cette maison avec son
jardin situé à l’arrière fournit en arbres fruitiers. Sa grand-mère fait d’excellentes confitures
et des pâtés de lapins qu’il déguste sur de larges tartines de pain. Il
rencontre régulièrement l’ami de son père, Pierre Fréor, qui, bien que plus âgé
de 15 ans, se prend d’affection pour ce gamin et
lui fait découvrir en détail les lieux et les figures
de ce village à l’image de la mère Brounais ou de la mère Bézias, des femmes à
l’âge indéfinissable, marquées par la vie paysanne, aux traits burinés et
portant encore le costume du XIXème. « J’aimais aller dans les intérieurs pauvres, rustiques, parce qu’ils
étaient riches d’autre chose ».
« Bien souvent j’ai peint la mère Bézias chez
elle. Je m’y plaisais. Soudainement, un rayon de soleil traversait la pièce et
une métamorphose s’opérait. Il fallait saisir ces atmosphères -là…Quand
j’allais la voir, j’apportais un peu de viande ou des saucisses. On les faisait
griller sur un feu de sarments et c’était bon. On terminait par un
café ! » Nous rapporte Edmond
Bertreux.
Pierre
est alors très utile pour faire accepter, à ces modèles au caractère bien trempé,
qu’elles posent en situation pour le jeune artiste. Accroupi, son carnet de croquis sur les genoux, Edmond Bertreux
exécute ainsi de nombreuses esquisses et pastels, qu’il va retravailler de
retour à Nantes.
3 - Le groupe de Saint
Jean de Monts
En
avril 1929, il se lance sur les pas du peintre vendéen Charles Milcendeau
(1872-1919), décédé depuis 10 ans, mais dont il a admiré les toiles dans sa
jeunesse au musée de Nantes. Il est fasciné en
particulier par l’une d’entre elles, intitulée « la Bourrasque ». J’affectionnais l’atmosphère humide, les paysages aquatiques, les
ciels chargés de nuages, les tempêtes, les jours de pluie. Trentemoult était un
peu une terre amphibie, comme la Hollande ou les marais de Vendée. Les
inondations régulières duraient parfois toute une semaine et on ne se déplaçait
qu’en bateau.
Il
parcourt à vélo le marais vendéen, passant par Bois de Cené, Châteauneuf et
Sallertaine avec son carnet de croquis. Bien vite sa pérégrination le conduit en
« pèlerinages » à l’atelier du peintre, au Bois Durand à Soullans où il est
reçu par la veuve de Milcendeau qui lui présente de nombreuses œuvres de son
mari. Il fera d’ailleurs l’acquisition de quelques toiles. Dans la
bourrine du maître, J’y retrouvais toujours l’atmosphère de sa peinture, les
ciels énormes, comme ceux de la Loire à Saint-Jean-de-Boiseau et Bouguenais.
C’est en 1930 qu’il expose pour la première fois sur Nantes. La galerie Préaubert, située rue du Calvaire,
lui permet ainsi de présenter une série d’œuvres graphiques consacrées au
marais de Monts et aux paysages de Saint-Jean-de-Boiseau. Cette première exposition
introduit ainsi Edmond Bertreux sur la scène artistique nantaise. Un an plus
tard l’artiste abordera la peinture à l’huile. Le hameau de la rochelle à St Jean de Boiseau est le sujet qu’il
choisit pour appréhender cette nouvelle technique.
En 1934, sa peinture s’affirme et il expose dans la plus importante des
galeries nantaises, la galerie Mignon-Massart.
Il
retourne régulièrement en Vendée, dans le marais où il accompagne son ami le
docteur Riou, en yole, dans ses consultations et découvre l’intimité du monde maraîchin.
C’est
en 1936 qu’il va faire la connaissance d’Armand Laîné grâce à son ami le peintre Henry Simon (qu’il a connu à l’école des Beaux-arts
de Nantes en 1928). Armand Laîné, ancien chef de cuisine du premier hôtel de
tourisme de Saint-Jean-de-Monts, l’hôtel de la Plage dont le propriétaire
Alcide Guériteau est aussi mécène des peintres locaux, va bientôt monter sa
propre affaire au centre du bourg et devenir un rude concurrent pour son ancien
patron. La clientèle est plus modeste mais Armand recherche l’originalité en
possédant des animaux exotiques, singe et perroquet qui font la joie des
voyageurs et vacanciers. Edmond Bertreux a d’ailleurs fait un tableau du
célèbre perroquet vert pour son aubergiste. Armand Laîné offre plus que
le gîte et le couvert à ses hôtes, il les emmène lui-même en voiture, au cœur
du marais et les y laisse avec panier et victuailles, n’allant les rechercher
que le soir. Ainsi isolés, les artistes produisaient
de très belles toiles pour leur fortuné mécène. Ce dernier, patriote, quittera
Saint Jean de Monts en 1942 pour Jard sur Mer afin de ne pas avoir à héberger
les officiers allemands.
L’homme est dur en affaire et s’est ainsi constitué une très belle collection d’œuvres d’Edmond Bertreux mais aussi de Charles Milcendeau et autres Pierre Bertrand, Jean Launois, André Fraye, René Levrel originaire comme lui de Trentemoult , ou encore du polonais Jean Peské. L’hôtel étant ouvert toute l’année, Edmond Bertreux y séjournera régulièrement de 1936 à 1939, inspiré l’hiver par les paysages inondés du marais. Il fait alors partie de ce que l’on appellera le groupe de Saint-Jean-de-Monts : La façon poignante dont j’ai fait la connaissance d’Armand Laîné me rappelle une belle journée de septembre : c’était en 1936. En effet j’étais allé peindre un été de cette année donc, à Saint-Gilles, ayant loué une modeste chambre en juillet et août. Après ce séjour, j’avisai mon ami Henri Simon, de Croix de Vie, que je devais rentrer à Saint-Jean-de-Boiseau, n’ayant plus un sou en poche (comptant sur la vente de quelques gouaches, pourtant exposées chez Mlle Pivoin. N’ayant rien vendu, je devais quitter la côte vendéenne avec beaucoup de regrets. C’est alors qu’Henri Simon me déconseilla ce départ précipité, insistant pour que je me rende à Saint-Jean-de-Monts, trouver un de ses grands amis, Monsieur Armand Laîné, hôtelier. Encouragé, je repris ma bicyclette et me rendis directement à l’Hôtel des Voyageurs. Là, une femme fort aimable m’accueillit, c’était Madame Laîné ; son mari se trouvait à Croix de Vie. En l’absence du patron, elle me fit visiter la grande salle à manger et toutes les collections de tableaux. La présence de quantités d’œuvres sélectionnées : peintures, gouaches, pastels, aquarelles, dessins de différents Maîtres me réconforta. C’est ainsi que je me trouvais devant Charles Milcendeau, Jean Launois talentueux gouachiste, Peské, Lepère, Foreau, Fraye…Armand Laîné était un amoureux, un passionné de la bonne peinture.
Je pris, de retour, la route agréable de Saint-Gilles,
emportant dans les yeux des merveilles. Le lendemain matin, tôt, j’eus la
visite de Monsieur Laîné qui frappait à la porte de ma modeste chambre et
venait me chercher en m’invitant à faire un séjour d’un mois à
Saint-Jean-de-Monts. Cet appel fut si enthousiaste, si généreux que j’acceptais
bien entendu avec joie. Je me rendis par le petit tramway à vapeur jusqu’à
cette commune (voyage extrêmement pittoresque à cette époque…les temps ont
hélas bien changé). A la gare, chose délicate et extraordinaire, tous les
pensionnaires de l’Hôtel attendaient le peintre, accompagnés par le
« Patron », Armand Laîné en personne !
Jamais je n’effacerai de ma mémoire ce spectacle
touchant et si sympathique. Là, pensez, tout me paraissait beau, ah ! Je
revois Saint-Jean-de-Monts de ces belles années. Le marais avait conservé tout
son caractère, ses moulins à vent évoluaient, déployant leurs ailes sous un
immense ciel voilé…
Pendant des années et à travers des périodes même
d’hiver, je me rendais chez lui, et grâce à ce cher Armand Laîné, j’ai pu
explorer profondément le marais de Monts, parcourant, tantôt à pied, tantôt en
yole les chemins creux et les canaux, pénétrer dans les bourrines enfumées et
hospitalières. J’ai admiré pendant des années les vastes ciels souvent
tourmentés et parfois limpides et aussi dorés ou flamboyant des couchants. J’ai
pu apprendre et amasser surtout des centaines et des centaines de croquis et
d’études et peindre des œuvres nombreuses. L’école de peinture de St Jean-De-Monts
article de Valentin Roussière. in revue de l’Ouest sep-déc 1968.
Après
quelques années à la préfecture, pour assurer sa subsistance, il décide de
vivre de son art. Les débuts sont difficiles. L’artiste aimait à dire « j’ai beaucoup plus vécu pour ma peinture
que par ma peinture » tout en affirmant que « vivre ce n’est pas gagner de l’argent ! ».
En
1935, (24 ans) il participe au salon d'automne à
Paris et y expose jusqu’en 1938, date à laquelle il obtient une bourse de la
fondation américaine Georges-Blumenthal.
Tout en continuant ses escapades entre Saint-Jean-de-Boiseau et
saint-Jean-de-Monts, il répond à l’invitation d’un général de l’armée de l’air
de Toulon pour un séjour de six semaines sur la côte d’Azur. Il y effectue
quelques gouaches, mais bien vite la nostalgie du pays et ses ciels nuageux lui
manquent.
En 1942, Edmond Bertreux épouse Etiennette Nedellec, Nantaise d’origine
finistérienne qu’il a rencontrée en 1938. En 1943, un premier fils, René-Alain,
voit ainsi le jour, suivi beaucoup plus tard d’Edmond, né d’une autre union. La guerre ne favorise pas le commerce de l’art. Aussi à la suite
des bombardements de Nantes, le jeune couple se réfugie à Saint Jean-de-Boiseau
où son père qui a hérité de la petite maison de sa mère décédée en 1933 a fait
d’importantes transformations. La maison a désormais un étage disposant d’une
loggia lui permettant d’observer la Loire. L’étage ainsi créé accueille son
atelier de peinture. La « maison bleue » ainsi dénommée en raison de
la couleur de ses menuiseries, n’a que peu évolué depuis sa construction. Edmond Bertreux y peignit l’une de ses plus
belles toiles, intitulée « le
village de Boiseau sous la neige ». Cette œuvre est aujourd’hui
conservée au musée des Beaux-arts de Nantes.
Après
l’occupation, les ventes se font rares aussi
l’artiste monnaie sa peinture auprès des commerçants ou artisans en échange de
nourriture, de vêtements ou d’objets mobiliers.
Si le troc s’impose durablement durant cette période, Edmond Bertreux le
pratiquera tout au long de sa vie.
Gravement malade l’artiste va momentanément stopper son activité de
peintre. Sa femme, secrétaire à l’office central d’hygiène sociale,
rue Arsène Leloup à Nantes, fait alors
vivre le foyer familial.
Entre temps son père Jean Bertreux a pris une retraite anticipée et a
ainsi choisi de mettre fin à sa carrière de dessinateur. Il se consacre alors
aux voyages et à ses deux passions, le jardinage et la peinture. Il devient par
ailleurs maire de la commune de Saint-Jean-de-Boiseau en 1947 et le restera
jusqu’en 1953.
A
partir des années cinquante, la peintre d’Edmond est enfin reconnue notamment
grâce à ses expositions personnelles présentées dans les vitrines
d’Ouest-France place Royale et dans les galeries nantaises, à sa participation
aux expositions collectives organisées par la société
des amis de l’art. Il est très productif. Peu porté sur les voyages, « Je n’ai pas fait de longues pérégrinations à
part en Hollande et en Espagne (Madrid, Avila, Salamanque et Tolède) effectuée
en 1960 dont Milcendeau était tombé sous le charme, puis en Belgique et en
Hollande en 1962 afin de confronter ma sensibilité à celle des
peintres flamands que j’admire. » Son
périple espagnol, en terre castillane, le conduit à Madrid et au musée du
Prado, Tolède et ses rues animées, Avila et ses remparts, Salamanque, ses
églises, ses quartiers typiques et ses lavandières. De retour à Nantes, il
réalisera de ce voyage une cinquantaine de toiles aux couleurs vives et
ensoleillées contrastant avec ses ciels gris des bords de Loire.
Au fil du temps son style
mais aussi sa personnalité s’affirment peu à peu. Son chapeau, feutre rond, sa
lavallière noire à petits pois blancs et sa cape légendaire en font un artiste
atypique, sorte de coquetterie dont il aime jouer.
Avec
son ami Pierre Fréor, ils parcourent le Pays de Retz abstraction faite de la partie sud entre Machecoul et Legé.
Pierre connaît tout le monde rural et la côte de jade où il possède une
résidence secondaire, car il y a tiré le portait de beaucoup d’entre eux y
compris pour les mariages et les communions. Edmond profite de la traction puis de la 2cv de son ami pour faire de nombreux croquis
sur le motif. J’ai eu la chance, sur la
fin de leurs vies, de les transporter sur les bords du lac de Grandlieu ou au
Migron. On ne s’ennuyait pas dans ma Renault 12, avec les deux passagers qui se chamaillaient amicalement à l’arrière
du véhicule. Ils racontaient des souvenirs et anecdotes de leurs pérégrinations
communes dans les fermes. C’étaient de joyeux lurons et la morale m’interdit
ici de reproduire certains sujets de leurs conversations. A les écouter ils
n’étaient d’accord sur rien, mais s’entendait comme on dit « copains comme
cochons ».
Edmond
fait souvent appel à son ami pour quelques clichés d’hommes au travail afin d’affiner les mouvements et les attitudes des
ouvriers qu’il met en scène dans ses tableaux.
Toute
son oeuvre va ainsi se concentrer sur les paysages et les personnages de cette
région et principalement sur la commune de Saint-Jean-de Boiseau. Sa
fascination pour le décorum l’amène à réaliser des
scènes sur les enterrements, cérémonies et processions de cette commune, dans
lesquelles il met en scène des membres de sa famille mais aussi son ami Pierre
Fréor. Un prétexte artistique lui permettant d’éclaircir sa palette. ..j’ai aussi eu une période où j’ai beaucoup
représenté les bohémiens. On les appelait les voleurs de poules ou Romanichels…
pendant l’occupation, ils s’arrêtaient de temps en temps en bas de Boiseau,
dans l’ancienne carrière, mais ils repartaient vite, les Allemands les
pourchassaient. Moi je m’approchais de leur campement pour faire le plus de
croquis possibles !
J’ai aussi eu ma période religieuse avec les
processions, surtout les fêtes dieu car j’étais très marqué par la liturgie et
les décors qui s’y associaient, les enfants de chœurs, les encensoirs et je
regrette que tout cela soit disparu. Le peintre a besoin de décor et je me
refuse à être un peintre abstrait. J’ai peint la véracité de mon pays. Je n’ai
jamais peint pour de l’argent. Car j’ai toujours mis l’art en premier et
l’argent après. L’argent il en faut mais ce n’était pas ce qui me motivait, disait-il.
Le
vendredi 28 janvier 1972, Edmond Bertreux est aux
premières loges pour assister, impuissant, à l’incendie de la cathédrale de Nantes.
Il habite alors un appartement rue Henri IV où se trouve son atelier. « Ce jour-là, j’étais à la maison et
soudain j’ai vu sur ma cheminée des lueurs rouges et orange qui se déplaçaient
? Cela m’a à peine surpris, nous étions fin janvier et j’ai cru qu’il
s’agissait des premiers rayons du soleil. J’ai alors jeté un coup d’œil à la
fenêtre et j’ai vu la cathédrale en feu. Toute la toiture était déjà consumée
et j’ai pleuré. » Il passera plus d’un an derrière son chevalet pour
traduire cette catastrophe et sa dimension tragique.
Pour
le journal le Courrier de Paimboeuf, il réalise entre
1977 et 1978 une série de gouaches représentant les églises du Pays de
Retz ; série qu’il intitulera « d’un clocher à l’autre ». Parues dans les années 1970 en noir et blanc,
elles mériteraient d’être rediffusées avec les couleurs et les légendes de
l’artiste.
Ce journal lui servait aussi d’exutoire pour défendre ses idées contre
la dégradation de la nature et du patrimoine. Ses écrits pouvaient être virulents
à l’encontre notamment du projet de la centrale nucléaire au Carnet où de
l’abandon de la Tour du Pé que l’on projetait de démolir lors de la
construction de la maison de retraite.
Une
reproduction de son tableau sur Saint-Jean-Baptiste de la Salle, commandé par
le clergé nantais en 1959, pour commémorer le premier congrès des anciens
élèves des écoles chrétiennes à Reims, sera offerte au Général de Gaulle.
Sa
carrière sera marquée par de nombreuses expositions tant à Nantes qu'à Paris,
Cardiff, Sarrebrück, Toulon etc. Si plusieurs prix
couronnèrent son œuvre, il sera nommé, trois ans avant sa mort, Chevalier de
l'Ordre National du Mérite.
Une
émulation créative est née de l’association entre Pierre Fréor et Edmond. Plus d’un millier de clichés et presque
autant de tableaux jalonnent cette longue carrière des deux Hommes. Pierre Fréor, historien reconnu, nous a quittés le 18 octobre 1983
et Edmond Bertreux le 14 octobre 1991. Un autre artiste de
Saint-Jean-de-Boiseau était aussi de ses amis. Il s’agit du comédien et acteur
Jean Brochard dont je possède la correspondance avec le peintre. Chaque lettre envoyée au nouvel an est
illustrée d’un paysage de Saint Jean de Boiseau ou d’une esquisse à l’encre de chine
figurant un paysage qu’il affectionnait.
Tous
trois reposent dans le cimetière de cette commune des bords de Loire qu’ils ont
tant aimée.
Elle
est d'une grande diversité mais s'est surtout attachée à représenter le
quotidien de la vie dans ce qu'il avait de plus marquant à ses yeux. S'il
peignit la cathédrale et le pont Transbordeur de la ville de Nantes, sa
peinture fut beaucoup plus abondante dans les représentations de la vie du
fleuve (port, bateaux à voile ou à vapeur, canots de pêche, toues etc.) ou dans
les scènes de vie rupestre (travaux à la ferme, bœufs au labour, battage, coupe
du bois etc.). C'est ainsi qu'il peignit énormément de toiles sur le village
natal de son père : Saint-Jean-de-Boiseau. Sa peinture est rarement gaie, même
parfois austère, tragique et les personnages traités
quelquefois d’une façon un peu naïve. Ses paysages ont la grisaille de l’hiver
ou du vent d’automne, même si parfois on y trouve une pointe d’humour chez les
figurants et les libertés qu’il s’octroie avec la réalité. Ainsi sur quelques
tableaux de processions à Saint-Jean-de-Boiseau, on observe plusieurs fêtes
religieuses fondues dans une même toile. Il représente la vie, aussi bien dans
les bars à matelots et ses prostituées du quai de la Fosse que dans les scènes
des activités des bords de Loire ou de la campagne. C’est le réel en couleur
que ne peut concurrencer la photographie encore en noir et blanc.
On a écrit de lui : « il
poursuivit son œuvre solitaire sans se préoccuper des modes ou coteries. Il vit
dans le peuple de ses souvenirs, entre la Basse-Loire et le Pays de Retz, entre
gens de la terre et gens de mer, deux mondes qui l'ont émerveillé ».
Mais aussi : son sens aigu de
l'observation, ses milliers de croquis pris sur le vif, son excellente mémoire
visuelle font qu'il a atteint souvent la vérité la plus extrême. La description
est minutieuse, rigoureuse, étonnamment juste. Ainsi, son œuvre acquiert-elle
une dimension ethnographique indiscutable.
Edmond Bertreux disait : je
suis le peintre figuratif qui a, sans forfanterie, peint le mieux l’atmosphère
de mon pays. Ma peinture est ce qu’elle est, elle vaut ce qu’elle vaut mais
elle est personnelle. J’ai été marqué par un beau pays et j’ai essayé de le
peindre avec mon cœur. J’aimais reproduire les ports et l’eau ainsi que les
scènes paysannes, labourage, foins. Ma palette est faite de toutes les nuances
car elles créent l’harmonie. Les gris ne sont pas uniquement suscités par le
blanc et le noir, mais une combinaison de toutes les couleurs. Je prends des
cadmiums, jaune, rouge ou orangé et des cæruleums les plus chers. Il y a toutes
sortes de gris dans ma peinture.
Un paysage de neige à Boiseau n’a pas les même
gris que celui que l’on trouve sur la terre brûlée en Espagne…Quand le ciel est
réussi, un tableau est bon. Chez moi c’est le ciel qui fait la valeur de
ma toile.
Je ne me classe comme peintre dans aucune catégorie.
C’est ma liberté !
Remerciements à la famille Bertreux et plus particulièrement à Julien
Bertreux, petit-fils du peintre, ainsi qu’à M. et Mme Fréor.
Jean-Luc
Ricordeau