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Le curé Denghin, un prêtre dans la tourmente révolutionnaire


Marc André Denghin est né à Cagnicourt (Pas-de-Calais) le 6 décembre 1752. Ses parents Marc André Danghain et Marie-Anne Joseph, se sont mariés le 22 novembre 1751 à Hamel, petit village distant de 13 km. Cagnicourt est un tout petit village
rural d’environ 200 habitants à l’époque, situé entre Arras, Cambrai, Douai et Bapaume. Ils sont tous les deux issus d’une famille aisée, ils étaient censier, c’est-à-dire propriétaire d’une ferme. [1]

Il est l’aîné d’une nombreuse fratrie :

  • Marie Alexandrine le 17 avril 1754.  Elle épouse Nicolas Joseph Boniface le 25 février 1783
  • Marie Clair le 4 septembre 1755 qui décède le 9 septembre
  • Charles Guislain le 2 août 1757 qui décède le 8 août
  • Marie Barbe le 14 octobre 1758. Elle épouse Pierre Joseph Lemarié le 24 février 1784

Après le décès de sa mère le 25 juillet 1761 (Marc André n’a que 9 ans), son père se remarie le 7 février 1769 avec Jeanne Angeline Breuvart âgée de 22 ans.

D’autres enfants naissent :

  • Nicolas Joseph 15 juin 1769,
  • François Joseph le 26 juin 1770
  • Louis Felix 19 novembre 1771,
  •  Marie Adélaïde le 19 octobre 1773,
  • Marc André le 31 janvier 1775,
  •  Philippe Théodore le 23 septembre 1777

Ce qui fait au total 11 enfants dont 2 décédés à la naissance

Son père décède à son tour le 13 septembre 1781, il a 29 ans et Philippe Théodore, le dernier enfant, 4 ans. Son épouse, Jeanne Angélique se remarie le 8 juin 1784 avec François Joseph Hublin.

Sa formation de prêtre

Il est difficile de savoir où il a fait sa formation mais Cagnicourt, faisant partie du diocèse de Cambrai, on peut penser qu’il y a fréquenté le séminaire[2]. C’est un élève brillant qui gravit vite tous les échelons comme le démontrent les informations retrouvées dans une notice du catalogue général de la Bibliothèque Nationale de France :

  • Etudiant à l’école privée Saint- Jean-de-Chartres en 1774, il s’investit davantage dans la connaissance de sa religion par l’étude sur Dieu et les choses divines à la lumière de la Révélation et se spécialise en théologie.
  • Puis il rejoint la congrégation des Augustins et devient Génovéfain[3], à l’abbaye Sainte Geneviève de Paris le 17 avril 1774.
  • il est ordonné sous-diacre puis diacre en 1777.[4]
  • En 1778 il est ordonné prêtre et il devient régent[5] à Saint-Jean-de-Chartres.

      Il a 26 ans.

  • Il  Il est nommé dans la même fonction à l’abbaye Notre-Dame-d’Eu en 1781. (Cette abbaye sera détruite à la révolution)
  •  Il  Il est ensuite muté régent de théologie à l’abbaye de Saint-Quentin de Beauvais de 1782-1783. Le 25 juin de cette dernière année, il est président du jury pour la soutenance de thèse « Questio théologica. De Ecclesia » de deux génovéfains : Félix Jolly et Marie-Etiennes Petit.
  •      Nouvelle mutation en 1783, toujours pour l’enseignement théologique, à l’abbaye Notre-Dame de Château-l’Hermitage, dans la Sarthe.   

Son arrivée à Saint-Jean-de-Bouguenais[6] 

C’est le Prieur des augustins de Sainte Madeleine de Geneston qui nomme le clergé à Saint-Jean-de-Bouguenais car la paroisse est un prieuré dépendant de cette abbaye. Hélas, celle-ci est en déclin et n’a plus que trois religieux car les bâtiments ont été victimes d’un incendie en 1783. Aussi, on peut penser que le prieur abbé dut faire appel à son homologue, augustin de Notre-Dame-de-Château-l’Hermitage, pour pourvoir au remplacement du prêtre régulier Navier qui quitte la paroisse de Saint-Jean-de Bouguenais. 

Et c’est ainsi que fin décembre 1785, Marc André Denghin, âgé de 33 ans, est nommé vicaire dans cette petite communauté de 2500 habitants. Quelques mois plus tard, le 9 mars 1786, son supérieur Pierre Simon se résigne à quitter son poste en raison de son âge et Denghin devient le recteur de la paroisse fonction qui, à l’époque, correspond à celle de curé aujourd’hui. Son sous-diacre est Gabriel Chiché. Cette promotion en fait un notable et lui permet de siéger au Général de Paroisse aux côtés de la bourgeoisie locale et du seigneur De Martel.

Grâce à deux certificats de résidence établis au Pellerin en 1802, nous connaissons son aspect physique : - taille cinq pieds six pouces soit 1.67 m - cheveux blonds - sourcils bruns - yeux bleus - nez relevé - bouche moyenne - menton rond - front élevé. C’est un beau blond aux yeux bleus…

Sitôt arrivé à Saint-Jean-de-Bouguenais, Denghin s’intègre très facilement dans la population. Ses fonctions et sa culture lui ouvrent rapidement plusieurs portes. Il hérite dans ses fonctions de la charge d'administrateur des petites écoles, fondées par la Dame de la Hibaudière, dont l’enseignante est mademoiselle Lamy.

L’une des premières missions importantes de sa première année de fonction sera d’organiser la bénédiction d’une grosse cloche, Louise-Anne, le 24 octobre 1786. Elle est offerte par une riche famille de planteurs nouvellement installée sur la paroisse, Messire François-Vincent comte d’Aux de Bournay, chevalier seigneur de la Hibaudière (château d’Aux). Il sera le parrain et sa fille Louise Anne Désirée la marraine. Sont présents pour cette cérémonie : MM. Robin, recteur du Pellerin - Gimel, prieur de Cheix - Méchin, vice-gérant de Brains et Le Bastard, le nouveau vicaire de la paroisse.  Il n’y avait à l’époque que deux petites cloches et Louise-Anne, la plus grosse sera placée au centre.

1788, l’amorce d’une crise

Pour Denghin, les conditions de vie ne sont pas beaucoup plus brillantes que celles de bon nombre de ses concitoyens. Pour information, en 1790, les revenus de son prieuré sont de 2367 livres dont 1800 pour la dîme car la somme perçue par la paroisse doit être reversée en grande partie à l’évêché de Nantes. Son ministère l’oblige à apporter quelques secours aux plus démunis de la population. Il gère pour cela le bureau de charité dont le capital est de 1000 livres pour Saint-Jean-de-Bouguenais.

Sa tâche n’est donc pas aisée car, depuis sa prise de fonction les années 1785, 1787, et 1788 ont durement impacté les récoltes. Denghin tient les registres paroissiaux, ce qui lui permet de temps en temps d’ajouter quelques remarques personnelles sur la vie de tous les jours, une petite gazette de la vie de la cité en quelque sorte. Ainsi, nous indique-t-il : l'année 1785 qui s’achève, est une année noire pour l'agriculture et les herbagers. Une sécheresse extraordinaire a réduit à néant les récoltes de blé noir et de foin. Il n'y a pratiquement pas eu de pluie du mois de février au mois d’août. Le bétail, par manque de nourriture, crève ou est vendu au 1/5 de son cours dans des boucheries de fortune installées dans les villages. Heureusement pour Saint Jean, le roseau qui pousse au bord de l'eau, procure une ressource financière qui permet d'éviter la misère que connaîtront les agglomérations environnantes.

L’hiver est très rigoureux en 1787 et l’année suivante : le froid débute le 15 octobre 1788 et devient très rude à partir du 21 novembre. Pendant huit semaines la neige recouvre la terre, le dégel ne vint que le 12 janvier et en février les glaces fondirent… Les mois qui suivirent furent difficiles, les récoltes étant peu abondantes sauf pour le vin.

Cette situation de difficulté apparaît dans le registre en faisant la comparaison des déclarations des revenus de la cure entre 1788 et 1789 :

Année 1788                                                                          Année 1789

  •        2 tonneaux 4 septiers de froment             - 3 tonneaux 6 septiers de froment
  •     5 septiers de fèves                                    - 3 tonneaux de fèves
  •    126 barriques de vin                                  - 60 barriques de vin

Cette pénurie de céréales et de légumes provoqua une hausse importante des prix (50% sur le blé et 100% sur le seigle). Les revenus du recteur ont été réduits de 25% :  2.824 livres en 1788 contre 3.750 les années précédentes.

Même, si à Saint-Jean-de-Bouguenais la situation est moins pénible que dans beaucoup d’autres paroisses en raison de ses activités principales (le vin, la pêche, l’élevage, les nattes et l’industrie à Indret) quelques familles de bordiers sont dans la misère. Denghin, jusque-là professeur dans de riches abbayes, découvre un monde qui n’est plus en rapport avec ce qu’on lui a inculqué sur la religion et la charité. Ses idées progressistes lui permettent d’analyser la situation d’une manière qui va tout à fait dans le sens de l’histoire.

Il saura vite distinguer les « deux clans » qui cohabitent à Saint-Jean-de-Bouguenais : la partie « ouest » de tradition fortement rurale qui reste attachée au roi et qui n’a de griefs en fait que contre le seigneur local et la partie « est » où vient de s’implanter, à Indret, la fonderie de canons et dont les esprits s’ouvrent à des horizons nouveaux.

Le 16 mars, le recteur Denghin reçoit, comme ses homologues des autres paroisses, l'ordre du gouverneur de la province de lire, aux prônes de la messe du dimanche suivant, un mandement signé de Louis XVI. Il en informe le Général de Paroisse qui fait procéder à l'affichage du document sur la porte de l'église. Les marguilliers vont de village en village annoncer l’importance qu'il y a d'assister à l'office dominical. Parmi les ouvriers de Boiseau, il y a des chrétiens peu assidus, mais en ce 22 mars l'église est trop petite pour contenir tous les fidèles. La foule présente, debout en rangs serrés derrière le banc aux armoiries des De Martel, écoute le recteur du haut de la chaire, annoncer la convocation des Etats généraux : sa majesté en ayant entendu le rapport qui a été fait dans son conseil par le ministre des finances, a voulu se mettre à porter de convoquer les Etats généraux de son royaume, en vue de surmonter toutes les difficultés où elles se trouvent relativement à l'état de ses finances. D'autre part elle souhaite connaître les doléances de ses peuples... Sa Majesté désire que s'assemblent, dans les villes et les villages, dans le plus bref temps, les habitants pour conférer ensemble tant des remontrances, plaintes et doléances que des moyens et avis qu'ils auront à proposer et pour élire, choisir et nommer des personnes dignes de confiance, capables de transmettre ces remontrances et propositions aux dits Etats ...

Le dimanche suivant, 29 mars, Denghin apporte les précisions : tous les paroissiens nés français, âgés de 25 ans[7], non nobles et membres du clergé, devront se rassembler le 31 dans le cimetière (la seule place du bourg) afin d'y rédiger le cahier de doléances.

Bien qu'il lui soit interdit d'y participer, le recteur est l'organisateur et le dirigeant de cette assemblée. Son sentiment d'injustice sociale, dans lequel il vit, va le faire adhérer aux idées nouvelles. Beaucoup d’anciens religieux ayant vécu dans les abbayes avaient ce sentiment d’injustice envers les abbés commendataires[8] qui prélevaient à leur profit la presque totalité des revenus, laissant leurs moines dans la misère. Ce sera le cas pour les 7 religieux de l’abbaye de Buzay qui adhéreront aux lois de la future république.

Dès le lendemain, 30 mars, des modèles des cahiers (rédigés par de jeunes avocats avides de changement, comme le jeune Nantais Sottin) sont remis aux marguilliers.

Beaucoup de paroisses des environs se contentent de choisir un des exemples et de le faire recopier par le greffier chargé de consigner les doléances.

 Saint-Jean-de-Bouguenais, il en est tout autrement. Le 31 mars les 40 représentants éligibles réunis dans le cimetière, bien conseillés par Denghin, vont s'exprimer sur des réclamations qui leurs sont propres, et en particulier contre les privilèges et les exactions de son seigneur (11 articles sur 16). De Martel est considéré comme un usurpateur des communs.  L'autre réclamation porte sur l'usage de la rivière : demande expressément que le port où mieux dire la rivière, à l'endroit où se font les exportations ou importations des denrées de la paroisse soient rendu libre et navigable en tout temps…

La population, pleine d'espoir dans sa démarche, fait consigner par le notaire royal Joyau, les 16 articles de son cahier au bas duquel figurent les 40 signatures.

Nous y retrouvons tous les personnages qui, à des titres divers, seront amenés à s'illustrer sur le plan local pendant les guerres de Vendée.

De son côté Denghin, le 29 avril, participe à la réunion diocésaine du bas clergé pour faire état de ses propres doléances et élire les 3 représentants qui devront participer aux Etats Généraux. L’un d’eux sera Meschin, le curé de Brains.

La révolution était en marche, le curé Denghin suivait de très près les évènements parisiens, grâce aux renseignements recueillis dans les milieux ouvriers. Chaque dimanche il commente les informations à ses paroissiens.

Le début de la période révolutionnaire 

Les Etats Généraux débutent à Paris le 5 mai 1789 et vont durer jusqu’au 27 juin. Dès le 17 juin, le Tiers-Etat et le bas clergé s'unissent en assemblée nationale. La révolution est en marche et ce n’est pas la prise de la Bastille par les Parisiens le 14 juillet qui inquiète les Boiséens.

Denghin, de son côté, fait passer régulièrement aux prônes de la messe des messages dans ce sens. Il bénéficie en outre, n’oublions pas, d’une oreille favorable de toute une partie de la population de Boiseau qui travaille à la fabrique royale de canons d’Indret. Dès lors, la situation dans le pays évolue très vite : le 4 août, l'Assemblée vote l'abolition des privilèges, et le 26 est publiée la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen.

Dans le milieu ouvrier d'Indret, le compagnonnage et le corporatisme défendent les idées nouvelles. Un courant de pensée différent s'amorce alors au sein de la paroisse entre les travailleurs de la fonderie et ceux de la terre. Boiseau et l'actuelle La Montagne, ne sont plus tout à fait en communion avec le bourg et les autres villages.

Le 30 septembre 1789 à Nantes, guidé par son recteur, Saint-Jean-de-Bouguenais vote la concession des pouvoirs illimités à la Constituante.

Le 30 janvier 1790 l'Assemblée entreprend de nombreuses réformes, dont le découpage du royaume en départements qui se subdivisent en cantons. Les paroisses deviennent des communes et changent de nom. Saint-Jean-de-Bouguenais prendra tout d’abord le nom de son village le plus patriote : "Boiseau". L'élection du premier maire a eu lieu le 23 janvier, parmi les 65 personnes éligibles (il fallait justifier d'un revenu foncier égal à 150 journées de travail et prêter le serment civique). C’est un laboureur du Landas, Luc Prin qui est élu. Denghin ne pouvait pas l’être car, en vertu des lois, il a déjà la fonction de curé, mais il fait partie du conseil et dirige les débats. Il tient, entre autres, les registres des délibérations ainsi que ceux de l'état civil (ce qui était rarement admis). Il bénéficie pour cela d'une tolérance du receveur des douanes Allaire qui, lors d’une inspection, écrit dans son rapport : la tenue des registres d'état civil des communes du canton défend au curé de remplir les fonctions de greffier public, mais le curé Denghin étant à la fois notable et officier municipal, j’approuve le bon choix que l'on a fait de Denghin pour ces fonctions. Quelques années plus tard, lesdits registres ne feront plus l'objet des mêmes éloges de la part du commissaire de la république Saint : la nullité presque radicale de la tenue des registres par le citoyen Denghin, ce cy devant curé. Il est vrai que les registres ne sont plus sa priorité, car il s'investit totalement dans l'application locale des nombreuses mesures décrétées à Paris.

En fait, Luc Prin est un peu un « homme de paille » et on le verra en plusieurs circonstances prêter sa caution financière au curé devenu un homme politique en soutane. Le Général de la Fabrique ne gère plus que les biens de l'église et encore pour peu de temps. C'est le procureur communal et le conseil municipal avec son maire qui sont désormais les gestionnaires de Boiseau.

Le 10 mai 1790, Denghin est élu l’un des 12 membres de l'administration du district de Paimboeuf dont il laisse la présidence à Honoré Brillaud de Laujardière, bien qu'ayant obtenu le plus de voix (21 sur 38 votants).

 La justice subit aussi de profonds changements. Un tribunal civil remplace l'ancienne justice des juridictions des châtellenies de Bougon et de Jasson. L'élection des juges a lieu le 24 octobre 1790 dans l'église du Pellerin. Denghin est élu président et Brillaud de Laujardière son adjoint. L'avocat nantais, De La Ville Leroux résidant à la Cruaudière, est parmi les scrutateurs. Il sera élu juge de paix du canton, mais se désistera un mois après. Son remplaçant sera De Laujardière, aidé dans sa tâche par 4 assesseurs du Pellerin et 4 de Boiseau qui sont Louis Fonteneau, J. Chesneau, J. Biton et J. Joyau.

Dans la même période, la garde nationale est créée dans chaque commune et les registres nous indiquent qu'il y a 22 adhésions presque immédiatement à Boiseau.

Toutes ces réformes qui s'appliquent très vite pour balayer le reste des pouvoirs de la féodalité et de la monarchie, sont orchestrées dans le canton par le curé Denghin. Son zèle ne tolère aucune compromission. Ses démêlés sont fréquents avec les propres membres de son conseil municipal : …un billet qui me fut présenté dimanche dernier pour en faire la publication. Comme il me paraissait inconstitutionnel, je crus devoir sortir de l'église pour faire des représentations à quelques officiers municipaux et leur dire que pour leur honneur et le mien, je n'en ferais pas la publication et je ne l'ai pas fait, ce qui m’a attiré les reproches de plusieurs d’entre eux et d’un bon nombre d’habitants qui m’ont accusé de partialité.

Sûr de son bon droit, il n’hésite pas à requérir l’avis des autorités supérieures :  ...comme je suis extrêmement jaloux de conserver la représentation de bon citoyen et pasteur municipal, je vous prie de requérir l’avis du Directoire sur l’arrêté du conseil municipal de Saint-Jean-de-Bouguenais et sur le refus que je puisse me justifier pleinement aux yeux d’un peuple aveugle, qu’il s’agit d’intérêts qu’il entend mal et défend plus mal encore. Le 11 janvier 1791, le Directoire lui donnera raison et blâmera la position du conseil municipal. Il approuve la conduite du recteur improuvant la décision de la municipalité comme contraire au décret et arrête que ladite déclaration sera rayée sur les registres. Il est fait défense à ladite municipalité d'en prendre de semblable à l'avenir sous peine de demeurer responsable des évènements. (Le litige portait sur une incitation des habitants de la commune de refuser de payer les rentes dues sur les afféagements).

La constitution civile du clergé 

L’attachement de Denghin aux idées de la révolution va le voir suivre les réformes imposées à la religion chrétienne sans restriction et avec zèle. L'Eglise, par ses richesses et son influence sur les populations, est un obstacle aux idées de progrès social, aussi l’Assemblée Constituante décide, sous l'influence de Talleyrand ancien évêque d'Autun, de proclamer la liberté du culte et de confisquer les biens du clergé. L'impôt de la dîme est aussi supprimé mais, en contrepartie, la République s'engage à rémunérer les religieux.

Le 14 mai 1791, une vente publique est organisée par le curé de Saint-Jean-de-Bouguenais qui liquide ainsi les biens de la paroisse dont il jouissait, au profit de riches bourgeois : les sieurs Nadreau, Brissault de Nantes et Lebreton de Boiseau.

On relève au passage que le bureau des pauvres de la commune est détenteur d'une somme de 1000 livres, soit l'équivalent d'une demi-année de salaire pour le curé. Cela confirmerait-il qu’il y avait peu de nécessiteux à Saint-Jean-de-Bouguenais ?

Quelques jours plus tard, il procède à l'inventaire des biens de l'Abbaye de Buzay. Le 12 juillet 1790, l’Assemblée Nationale vote la constitution civile du clergé. Les prêtres doivent devenir des « fonctionnaires ». Ils seront élus par les mêmes collèges électoraux que les municipalités. L’opposition, à ces dispositions, tant nationale qu’internationale, incite l’Assemblée à exiger des prêtres élus, un serment de fidélité à la nation et au roi. Des mesures répressives importantes seront par la suite établies pour ceux qui refuseront de prêter ce serment. En janvier 1791, Denghin signale son intention de prêter ce serment, acte qu’il accomplit le 23. Il précèdera cette prestation d’un discours particulièrement enflammé au cours duquel il ne cesse de vanter les mérites de la Révolution, du bien-fondé des lois qui sont adoptées et de condamner l’attitude des prêtres qui refusent de prêter le serment requis :  ils veulent armer le citoyen contre le citoyen, soulever le peuple égaré contre l’autorité légitime, engendrer enfin une guerre de religion dont le succès pourroit ramener des tems et des abus qu’ils regrettent. (Voir texte du discours en annexe)

Cette longue diatribe marqua tellement les membres du Conseil présents qu’ils décidèrent sur place d’aller complimenter le prêtre pour sa prise de parole, lui demandant de leur communiquer son texte afin de l’adresser aux autorités supérieures. Le fin mot de l’histoire réside dans le fait que les autorités départementales décidèrent d’imprimer ce discours et de le diffuser pour être lu dans l’ensemble des paroisses du département. Dans beaucoup de communes, le clergé a refusé de prêter le serment, « païen » obéissant aux ordres du Pape. Ce sont des prêtres réfractaires. Ils doivent quitter leurs paroisses qui se retrouvent sans pasteurs ou sont remplacés par des prêtres jureurs. Ces derniers, à l’exemple du vicaire Dubois de Boiseau, nommé à Saint-Léger-Les-Vignes, auront souvent une conduite déplorable, alcoolisme et autres comportements antireligieux. La crainte va envahir la population chrétienne de se voir privé des sacrements.  Les différentes étapes de la vie d'un homme sont marquées, depuis des siècles, par les enseignements religieux. Lors des fléaux comme la famine ou les épidémies, les processions aux divers saints sont le remède auquel croient le plus les habitants. Ils n'ont pour la majorité d'entre eux aucune instruction, mais ils connaissent par cœur les différentes prières enseignées depuis leur plus jeune âge. Ils espéraient beaucoup des doléances inscrites dans leur cahier, ils acceptaient même certains sacrifices pour cela, mais pourquoi s'en prendre à leur bon prêtre et les priver de ses services ? Le doute est entretenu par le haut clergé sur la non-valeur des sacrements des prêtres constitutionnels et les réfractaires officient en cachette chez des particuliers.

D’autres mesures comme les assignats, cette monnaie de papier, contribuent à diviser la population. Progressivement, le fossé va se creuser entre les défenseurs inconditionnels de la République et les populations paysannes. Cela se vérifie à l'intérieur-même de la commune de Boiseau, où les populations ouvrières vont s'opposer aux autres habitants plus conservateurs. Les incidents se multiplient aux diverses élections et lors des offices religieux. Le district ordonne à chaque municipalité de désarmer les suspects. Nous sommes en septembre 1792 et déjà couve le début d'une guerre civile.

Le 21 septembre est votée l'abolition de la royauté, et le 22, la création du calendrier révolutionnaire. Les fêtes religieuses sont abolies et remplacées par celles de la République. A Saint-Jean-de-Bouguenais, d'anciens membres du premier conseil municipal décident d'entrer dans l’opposition et regroupent autour d'eux tous les déçus. Le maire Luc Prin a quitté ses fonctions au bout d’un an et a été remplacé par Blanchard.

La nouvelle de l'exécution du roi, le 21 janvier 1793, jette la consternation parmi les indécis. S'ils ont osé faire ça, c'est qu'ils sont capables de tout se répète-t-on dans les villages.

Devant les tensions qui s'installent, une nouvelle prestation de serment est exigée des prêtres, des enseignants et des élus. Il ne s'agit plus cette fois d'un serment de fidélité à la République et au Roi comme la première fois, mais de fidélité à la République et haine aux rois. Cette nouvelle exigence engendre de nombreuses rétractations parmi les précédents assermentés.

Cette cérémonie se tient lors de l'assemblée du canton au bourg du Pellerin, mais Rouans et Cheix refusent d'y paraître. Le curé Denghin est le premier à accomplir cet acte, suivi de son conseil municipal. Je fais le serment de haine à la royauté et à l’anarchie, d’attachement et fidélité à la république et à la constitution de l’an trois.

La guerre civile

L'exécution du roi déclenche la déclaration de guerre à la France, par une coalition des principales monarchies d'Europe et nos frontières sont menacées. Devant le peu de volontaires pour constituer son armée, la Convention Nationale déclare la patrie en danger et proclame la levée de 300 000 hommes plus un emprunt de 800 millions sous forme d'assignats. Chaque commune doit fournir 4 personnes par 1000 habitants. Saint-Jean-de-Bouguenais en doit 8 mais n'en fournira que 7.

C’est la « goutte d’eau » de trop. Dès le 10 mars l'insurrection générale éclate au Pays-de-Retz. Le tocsin sonne un peu partout dans les communes environnantes. Seul Saint-Jean-de-Bouguenais reste calme. Il est vrai que le curé a fait descendre les cloches pour les donner à la fonderie qui les transformera en munition pour les soldats.

Plusieurs tentatives de soulèvement auront lieu sur Boiseau et la République décide d’envoyer une garnison de 500 soldats au château d’Aux pour protéger la fonderie de canons d’Indret et mater les rebelles.

De son côté Denghin, depuis fin 1792, n’enregistre plus les actes religieux (baptêmes, mariages et décès). Il devance en cela le décret de juin interdisant aux prêtres assermentés (les autres pour la Constitution n’existent plus) de porter le costume ecclésiastique et la tenue des registres paroissiaux. A partir de cette date le curé de Saint-Jean-de-Bouguenais, se consacre totalement à ses fonctions publiques et s'empresse de « jeter sa soutane aux orties ». Il ceint en remplacement la large écharpe tricolore frangée d'argent que sa fonction de président du tribunal l'autorise à porter. Il cmule alors les diverses tâches exigées par le Comité de Salut public.

Ses actions

L'armée à nos frontières manquant de munitions et de poudre, il est aussitôt nommé responsable de l’opération de récupération pour le district, de tout le plomb où qu'il soit. C'est ainsi qu’il décide de faire démonter celui qui se trouve sur les toitures des maisons des rebelles et des émigrés (faîtage, base des cheminées etc…). Sur ordre de Denghin, le maire de Saint-Jean-de-Bouguenais met trop de zèle dans l'application des directives, au détriment parfois des patriotes : ainsi tu diras à Blanchard, commissaire, de ne prendre que les premières et quant à la maison du citoyen Durand, de la faire recouvrir par Tougnet, couvreur que je t'ai envoyé.

Il sera ainsi récupéré 1820 livres de plomb qui seront acheminées à Brest par la corvette « l'Expédition ».

Mais il faut aussi de la poudre et la matière principale en est le salpêtre. Ordre est alors donné d'en fabriquer et pour encourager les municipalités, la convention assure une rétribution de 24 par livre. Denghin prend cette mission très au sérieux et crée aussitôt au village de Boiseau le premier atelier de lessivage de la terre et de cendres du district. Il fait installer trois chaudières destinées à la fabrication du salin, deux en cuivre et l'autre en fer. Tous les moyens sont donc en place mais la production est loin des objectifs espérés. Une lettre du commissaire national à Paimboeuf, Boulay Paty, est alors adressée au zélé citoyen boiséen : il est fâcheux qu'à défaut de cendres, lorsque les végétaux abondent, qu'à défaut de bras, le zèle de votre agent salpêtrier soit de fait annihilé... Je t'invite à stimuler de nouveau les communes de ton arrondissement de la manière la plus pressante sur la coupe et les brûlés des végétaux... certes le nombre de 50 ouvriers devient nécessaire pour soutenir l'activité de Boiseau... Toujours est-il que 20 hommes de la commune du Pellerin et 20 autres de la commune de Boiseau sont de suite nécessaire pour alimenter les 3 chaudières. Et il ajoute : je te préviens aussi qu'à compter du 20 prairial, chaque district doit fournir au moins 1 000 livres de salpêtre. Ne donne aucune relâche à la terre, qu'elle soit toute lessivée, surtout la surface des caves, des écuries, bergeries, pressoirs, celliers, remises, étables ainsi que les décombres des bâtiments... fouille et fait fouiller partout. Je vais donner des ordres pour que les scellés soient levés dans toutes les maisons d'émigrés, condamnés, détenus où tu présumeras qu'il est du salpêtre…

Pour alimenter les chaudières en combustible, Denghin est nommé responsable de l'exploitation du bois de Jasson et de Brains. Mais les difficultés sont cette fois dues à l’insécurité. Les ouvriers réquisitionnés sont sans cesse agressés par des bandes de rebelles. On retrouve régulièrement des patriotes assassinés dans le bois de Jasson. L'un d'eux est même découvert déshabillé avant d'avoir été passé à la baïonnette devant sa femme qui a reconnu quelques-uns des agresseurs : savoir les nommés Duplessis, Bossis et deux frères Brazeaux du Pellerin.

Malgré le zèle du curé Denghin, les 1000 livres de salpêtre ne seront pas atteintes, car les autres communes sont incapables de l'aider, vu qu’elles sont en révolte.

Le sauvetage du patrimoine de Saint-Jean-de-Boiseau

Avec l'arrivée à la tête du Comité de Salut Public de Robespierre, le 27 juillet 1793, nous sommes entrés dans la période dite de " la Terreur". En un an, des massacres vont se dérouler dans chaque camp anéantissant des villages entiers.

Le 10 septembre, Beysser part de la Hibaudière avec plus de 200 soldats pour "balayer" la rive gauche de la Loire jusqu'à Vue. Dès 5 heures du matin, l'œuvre de destruction commence. Onze maisons, peut-être treize, de la commune de Boiseau sont incendiées ainsi que le moulin Rothard. Il s'agit des habitations de rebelles sans doute désignées par quelques patriotes de la localité servant de guides aux soldats. Les villages les plus touchés sont la Prunière et le Surchaud. Ces logements appartenaient à Elie Drouet, Michel Guérin, Pierre Bertin, Louis et Pierre Bertreux, Pierre Gruchet, Jean Lebreton, Gabriel Naud, Julien et Maurice Prin et Louis Thabard.

Le curé Denghin parvient à convaincre le lieutenant-colonel Martin, commandant du détachement des communes des bords de Loire, de préserver l'église et la chapelle de Bethléem en échange des vases sacrés et autres ciboires et objets de valeur qui s’y trouvent. Le pillage accompagne ces expéditions. Il usera d'un stratagème, nous dit-on, pour sauver le château du Pé, en faisant un grand brasier dans la cour pour faire croire qu'il était déjà la proie des flammes. Vrai ou faux, il fut sauvé.

C’est donc à lui que nous devons d’avoir conservé ce précieux patrimoine qui fait défaut dans les autres communes du Pays-de-Retz.

Saint-Jean-de-Bouguenais fut donc relativement épargné. En revanche les communes environnantes sont livrées aux incendiaires... Le Général Canclaux écrit : j'ai fait incendier les bourgs du Pellerin et de Rouans points principaux de réunions des rebelles.

Malgré les évènements, les réformes continuent…

Le 15 novembre, à l'image de son évêque, Denghin adjure le christianisme et renonce au sacerdoce en présence du sanguinaire Carrier et des jacobins dans l'église Sainte Croix devenue le club Vincent La Montagne. Depuis déjà plusieurs mois, la religion n'était plus du tout sa préoccupation et les offices laissaient fort à désirer.

Le-soir même de cette cérémonie, Denghin recevait une lettre du général Canclaux le chargeant :  de faire par économie, les réparations nécessaires pour nos frères d'armes de la garnison du château d'Aux à l'abri des injures du temps et d'une défense précipitée que pourraient leur occasionner les défauts des rampes des greniers où ils sont logés. Pendant un mois Boiseau n'a plus de religieux. Denghin devient citoyen agriculteur bien qu’il n'ait jamais fait d'agriculture de sa vie, mais cela le rapproche du peuple « pense-t-il ». Le 16 décembre, il intronise son successeur comme curé, un nommé Blandin qui réside depuis 8 mois dans la commune. Il est originaire de Janzé (Ille-et-Vilaine) et était vicaire à Vertou. Le commissaire de la république Saint dira : les deux meilleurs patriotes du canton sont le curé de Saint-Jean-de-Bouguenais Blandin et moi. Il ne cite pas volontairement Denghin car les deux hommes sont souvent en désaccord.

L’année 1794 et le retour au calme

Jusqu'à l’automne, la région est toujours en guerre civile et Denghin tente de servir de son mieux la république. Il est chargé des réquisitions de bois dans le district et d’alerter ses supérieurs des exactions commises dans son canton. Ainsi, écrit-il : dans la nuit du 2 au 3 juin, à peine étais-je au lit, qu'on me fit lever en grande hâte pour donner la chasse aux brigans égarés 10 à 12 cavaliers bien montés et bien armés, ont attaqué le village du Landas, qui est à une portée de fusil du bourg de Saint-Jean-de-Boiseau, ou tout était tranquil. Je pense ajouter foi à ce que va te dire le porteur de ce courrier (Luc Prin) et faire qu'il soit entendu par le représentant. Il a été victime de cette incursion. Après minuit, j'ai envoyé une dépêche au commandant du château d'Aux qui d'après nos signaux m'avait envoyé 4 hussards républicains. Je ne puis t'en dire davantage ; les égarés, en faisant leur retraite se sont écriés "Sacrés pataux, nous vous en gardons"… Les braves de Saint-Jean-de-Boiseau sont arrivés un peu tard. Un homme du Landas a raté un égaré à quatre pas. Ils volèrent du linge et de l'argent chez le premier maire de la commune et maltraitèrent aussi sa femme.

Un mois plus tard, Robespierre passera à son tour sous la guillotine mettant fin à la terreur.

A Saint-Jean-de-Boiseau les patriotes n'ont plus le zèle des débuts, et le commissaire Saint s’en plaint à Denghin le 8 juillet 1794 : il a été établi un garde champêtre dans la commune de Boiseau, cet établissement déplait et gêne la plus grande partie, pour ne pas dire tous les habitants de cette commune, il parait qu'ils sont convenus de ne pas lui procurer un logement et pour se moquer de lui, ou pour masquer leur conduite ils lui demandent 130 francs par an pour 2 chambres auxquelles ils n'ont attaché ni jardin, ni terre quelconque. Il est de même à l'égard des préposés des douanes dont une brigade est établie en cette commune. Les préposés ne peuvent trouver de logement. Il n'y a pas de doute que les habitants sont coalisés pour refuser habitation à ces fonctionnaires publics croyant par cette ruse éloigner ces surveillants de leurs fraudes et dilapidation rurale.

Le calme revint pourtant avec l'automne, et le 8ème bataillon du Bas Rhin et son commandant Muscar quittèrent la Hibaudière fin 1794. Ils laissaient derrière eux le canton du Pellerin complètement ruiné et plusieurs milliers de victimes.

La fin de carrière de Denghin

Le 21 mai 1796 Denghin cesse ses fonctions de juge civil, pour celle de juge de paix du canton au Pellerin. Il reprend également, pour 2 ans, un poste dont personne ne veut à Saint- Jean-de-Bouguenais, celui d'adjudicateur de la perception du rôle mobilier et foncier. Et ceci malgré les déboires qu'il eut à subir pendant son premier mandat, pour un retard dans la perception de l'impôt. Il fut condamné à payer seul les frais de garnisaire[9]. Ce retard en fait était dû à une pétition des habitants de Boiseau sur le montant qui leur étaient réclamé, par le département, sur les rôles de la contribution foncière en l'an V et l’an VI : après avoir fait crier inutilement au-dessous de 8 deniers et voyant que personne ne voulait s'en charger, l'administration à ouï le commissaire du directoire exécutif, adjuge au commissaire Denghin le juge de paix du Pellerin demeurant au bourg de Saint-Jean-de-Boiseau, la perception de la contribution de l'an V et l’an VI, montant la somme de 12.207,63 Francs pour 8 deniers par franc, par lui offert pour sûreté du denier de la République, le conseiller Jean Prin, fils de Luc, cultivateur demeurant à Saint-Jean-de-Boiseau, lequel présent a déclaré se constituer caution dudit Denghin et à pourvoir de payer en son lieu et place le montant dudit rôle désigné ci-dessus et pour sûreté ledit cautionnement le dit Prin déclare affecter d'hypothèque tous ses biens meubles présents et futurs.

Pour ce qui est du conseil municipal, le laxisme est là aussi évident, car il choisit comme agent et substitut des réquisitions, deux déserteurs de la marine de Brest, Monnier et Huet. Ils étaient revenus en permission dans leurs familles, mais ne repartirent pas dans leur unité au grand désespoir du commissaire Saint qui s’en plaint à Denghin le 11 avril : vous semblez exigeant pour la municipalité du Pellerin ! Oubliez- vous celle de Boiseau qui n'a encore rien fait ? Si ce n'est, pour nommer agent municipal et son adjoint, deux déserteurs de la marine, contre les lois :

1°) Celle de la première réquisition

2°) Celle de la police générale

3°) Celle du 15 pluviôse concernant la marine

4°) Contre la constitution même

Cette commune a refusé malgré votre réquisition

1°) L'état du 1/3 de ses concitoyens qui sont éloignés d'avoir perdu par l'insurrection, et sont riches, afin de ne pas participer à l'emprunt forcé.

2°) Ont refusé l'état des jeunes gens de la première réquisition, parce que tous ces jeunes gens ont déserté, et que tous ses habitants et surtout les membres de la municipalité ont donné refuge à ses déserteurs. (Huet et Le Monnier seront bientôt renvoyés à Brest)

3°) Elle ne veut donner l'état des chevaux propres au service militaire. C'est cependant la seule du canton qui ait des animaux de cette classe

4°) Elle ne donnera pas aussi l'état des matelots qui sont rentrés avec ou sans congés, parce que tous ces jeunes gens sont dans le cas d'être dénoncés à la gendarmerie.

Vous n'appréciez pas citoyen, combien cette désobéissance aux lois, de la part de la commune de Boiseau, qui même se vante de son refus et plaisante ceux qui se soumettent, combien dis-je, cet exemple est dangereux.

Saint-Jean-de-Bouguenais n'a toujours pas remis la liste des rebelles qui sont rentrés depuis l'amnistie du 31 juillet et Saint exulte : la municipalité n'en fait pas plus, qu'elle ne s'occupe de dresser l'état de la population... Je n'ai cessé de vous répéter et vous répète encore que la commune de Boiseau n'obtempère à aucune loi... Cet esprit d'insubordination, le croiriez-vous, est excité et entretenu par un particulier des bureaux du département... A l'exception des habitants du haut de la commune, qui prétendent dépendre d'aucune administration, tous les citoyens du canton prennent des passeports. Il n'y aura que la force qui y établira et fera exécuter la loi qui touchera en la moindre chose à leurs intérêts et à leur repos.

L'administration se trouvait confrontée à un grave problème financier, les amnisties des rebelles n'avaient fait qu'augmenter la réticence de ceux qui avaient soutenu la République à payer les impôts alors que certains cantons insurgés étaient exemptés. A ces prélèvements, il fallait ajouter les réquisitions permanentes pour nourrir les troupes encore stationnées pour assurer la pacification. Le château d'Aux n'avait plus de prisonniers, mais il servait encore d'abattoir pour les bœufs et vaches amenés journellement pour nourrir les soldats. Ces rapines, faites sur les communes les moins touchées par le conflit, expliquent la réaction des habitants de Saint-Jean-de-Bouguenais qui ne voulaient pas payer pour le désordre commis par leurs voisins. L'armée réclamait elle aussi son quota de jeunes gens. Lors de la première réquisition, les jeunes de Saint-Jean-de-Bouguenais avaient été affectés dans la marine, à Brest, mais dans le désordre qui régnait, ils en avaient profité pour rentrer chez eux : partis en congé limité, partis en désertant de Brest... On m'assure (Saint) que tous les habitants de Boiseau qui en sont susceptibles, ont tous fui sur les iles de la rivière, et on assure qu'il y en a plus de 100 à prendre en cette commune.

Il faut aussi reconnaître une certaine incohérence dans les décisions. Les déserteurs des autres communes qui avaient été arrêtés, furent conduits à Paimboeuf pour être aussitôt relâchés. Comme le dira un conseiller de Saint-Jean-de-Bouguenais : les nôtres avaient au moins fait l'économie de ce voyage inutile. Voici la vision de cette commune par le commissaire de la République en juin : les habitants de Boiseau conservent l'indépendance qu'ils avaient même avant la révolution. Ils n'obéissent à aucune loi qui contrarie leur volonté ou intérêt. Ils sont laborieux, aisés, mais aussi bien mutins.

Cependant Denghin est bien dépourvu devant les réclamations qui s'accumulent sur son bureau, car dans tous les cas ils engendrent des mécontentements, n'ayant pas à sa disposition le moyen de rendre ce qui avait été perdu, sans encore faire appel à la solidarité des patriotes : ceux -ci exigent des bestiaux, des meubles et autres effets, qu'ils prétendent que les autres leur ont pris pendant leur absence. Les témoins sont très communs, et ce qui paraît singulier, c'est que ces témoins ont pris part à la révolte et étaient eux-mêmes absents. Je crois pouvoir vous assurer que les amnistiés ont fait une ligue pour pouvoir se servir mutuellement de témoins et attaquer les patriotes. Le tribunal de paix annule et rejette ces demandes injustes et insidieuses, mais je le réitère, cela renouvelle chez les uns et perpétue chez les autres la dissension. Sous la règle de l'égalité, il ne faut pas de démarcation entre les citoyens, mais n'existe-il pas une loi, ou plutôt un arrêté des représentants pacificateurs qui défend d'inquiéter les rebelles pour cause de pillage par suite de l'insurrection ? Si cela est, et que les patriotes peuvent poursuivre les dits rebelles amnistiés pour pillage par raison d'égalité, ceux -ci  ne doivent pas attaquer les autres, qui, suivant ou faisant partie de la force armée ont pris leur revanche et ont pillé les révoltés. IL faut arrêter cet esprit de chicane. Il faudrait une loi qui interdit toutes les réclamations pour pillages jusqu'à la pacification de l'an III (1795) ...

Il est vrai qu'une telle loi aurait bien arrangé Denghin, car il n'aurait plus eu de jugement à faire, toutes les déprédations ayant été commises avant !...

C’est ce poste qu’il continuera de tenir sans discontinuer durant une vingtaine d’années en traversant les différents gouvernements. Ce n’est qu’au retour de la monarchie en 1816 qu’il se verra écarté de toute vie publique lors de l’épuration qui s’en suivit.

La vie en famille

Malgré tous ces démêlés Denghin, redevenu civil, va s'empresser de chercher une compagne car il a 45 ans, ce qui est déjà un âge avancé pour l’époque. Depuis quelque temps en effet on voit souvent la fille du meunier du Pé, la jeune Thérèse Landais, âgée de 27 ans, venir à l'ancienne petite école du bourg. Celle-ci a servi de maison pour la garde nationale, puis a été vendue comme bien du clergé et rachetée par l'ex-curé. Les deux amants devaient se voir en cachette car le père Landais ne partageait pas du tout les mêmes idées politiques que son futur gendre. Bientôt la belle jeune fille ne put cacher une proéminence abdominale qui ne devait rien au Saint-Esprit. Comme l'écrivit plus tard l'abbé Blanchet : Denghin venait de donner un nouveau scandale dans la paroisse qu'il avait autrefois mission d'édifier.

Son mariage

Le mariage a lieu le 24 nivôse de l’an V (15 janvier 1797). C’est Julien Guillet qui officie en présence de quatre témoins : pour l’époux, Pierre Chauvelon et Jean Chauvet père, ses amis, et pour l’épouse, son père et Jacques Buaud.

Au préalable, le 22 nivôse de l’an V, un contrat de mariage est établi devant le notaire du Pellerin : le futur déclare avoir, à lui appartenant, tant en meubles, linges, argent et argenterie la somme de deux mille livres, reconnus par la future, laquelle somme tombera en entier dans la future communauté. … tous ses biens consistent en logement au bourg de Boiseau, terres labourables et prés situés dans les communes de Jean-de-Boiseau et Le Pellerin qu’il estime valoir en revenu quatre-vingts francs. La « future », quant à elle déclare avoir : provenant de ses travaux, tant en linges, habillement à son usage, en argent la somme de quinze cents livres dont le futur déclare avoir le tout en possession. Elle n’a reçu aucun bien meuble et immeuble de ses père et mère.

Plusieurs enfants naîtront : Emile le 17 pluviôse de l’an V (5 février 1797) soit quinze jours après le mariage, Théophile le 6 germinal de l’an VI (26 mars 1798), Clémentine Marie le 1er frimaire de l’an VIII (22 novembre 1799). La famille s’installe ensuite au Pellerin à l’hôtel de la marine (mairie actuelle) où naîtront : Joséphine Aimée le 18 brumaire de l’an XIII (4 novembre 1804) et Napoléon Marie le 15 août 1808[10].

Sa croyance dans les bienfaits que pouvait apporter la Révolution, le mènera à occuper de nombreuses fonctions dans la vie de sa commune, de son canton et même de l’arrondissement. Son intégrité demeura absolue jusqu’à la fin de ses jours que précipita la Restauration qui le déchut. Peut-être est-ce cet évènement qui précipita sa fin car, en effet peu après, il tomba malade et dut s’aliter. Le 23 janvier 1817, le notaire se déplace pour enregistrer un acte de vente d’une dernière propriété qui lui restait. Le lendemain il s’éteignit dans la misère, après avoir vu revenir au pouvoir ce qu’il avait tant abhorré et combattu toute sa vie.  Aux derniers instants avant de quitter ce monde, il aurait eu recours au ministère d’un prêtre et reconnu ses erreurs et s’être converti nous disent les chroniques paroissiales du diocèse.

Qu’est devenue sa famille ?

  • Thérèse quitte Le Pellerin pour Nantes.  Elle décède le 4 avril 1840 à l’Hôpital Saint Jacques à l’âge de 70 ans. L’acte de décès précise qu’elle est indigente, logée à l’hôtel de Crucy.
  • Ses enfants
  • Emile (malgré nos recherches nous n’avons rien trouvé sur lui)
  • Théophile épouse, le 1er février 1826 à Indre, Auguste Armande Nicolon. Il est capitaine des douanes. Ils auront 3 enfants : Théophanie – Théophile et Henri. Il décède le 29 octobre 1844 à Nantes.
  • Clémentine épouse, le 23 mars 1829 au Pellerin, Mathurin Gabillet. Elle est institutrice et tailleuse. Ils auront 4 enfants : Clémentine – Théophile – Léon et un enfant mort-né. Elle décède le 7 novembre 1882 à la Chapelle Launay.
  • Joséphine épouse, le 04 mai 1829 au Pellerin, François Henry. Ils auront 3 enfants : Emile – Josephine - Gustave Alexis. Elle décède le 8 septembre 1869 au Louroux-Beconnais dans le Maine et Loire.
  • Napoléon épouse, le 6 janvier 1835 à Couëron, Marie Louise Pailler. Il est épicier, menuisier-mécanicien. Ils n’auront qu’une fille qui décèdera à 3 mois. Il décède le 02 septembre 1859 à Nantes.

Cet homme, instruit dans l’éducation religieuse du XVIIIème siècle, a su par ses convictions sociales, se mettre au service d’une république qui malgré ses erreurs, visait à rétablir une certaine égalité entre les hommes en abolissant les privilèges dont jouissaient la noblesse et le haut clergé. C’est dans cette petite paroisse de Saint-Jean-de-Boiseau qu’il prit les initiatives pour le mieux-être de ses concitoyens. Malgré les épreuves qu’il eut à affronter durant la guerre civile qui sévit entre 1793 et 1796, il resta ferme dans ses convictions et par cela même, il préserva sa commune des exactions des rebelles mais aussi des troupes républicaines chargées de mater l’insurrection dans le feu et le sang. On lui doit aujourd’hui d’avoir su préserver le patrimoine communal d’avant le XVIIIème siècle que beaucoup de communes du Pays-de-Retz nous envient.

Aujourd’hui nul témoignage physique n’existe à Saint-Jean-de-Boiseau pour honorer cet homme à qui l’on doit tant. Puisse un jour cet oubli être réparé.

 



[1] Dans le Nord et la Belgique, le terme censier désigne celui qui tient une « cense » c’est-à-dire une ferme ou une métairie qu’il loue

[2] Les Archives Départementales du Nord nous ont indiqué ne pas posséder d’information à ce sujet

[3] Génovéfain : chanoine régulier de la congrégation de Sainte Geneviève

[4] Civil ayant été ordonné par son évêque pour servir l’église catholique

[5] Titre d'un instituteur ou d'un professeur de premier cycle de l'enseignement secondaire en France sous l’ancien régime

[6] C’était le nom de la commune. Elle prendra brièvement le nom de Boiseau en 1790 mais on trouve aussi Jean-de-Boiseau dans les actes. Elle deviendra Saint-Jean-de-Boiseau après le Concordat de 1801

[7] Pour être retenu, il fallait aussi justifier de payer une certaine somme d’impôts, donc avoir un revenu confortable. Ils ne seront qu’une quarantaine pour Saint-Jean-de-Bouguenais pour une population de 2500 habitants

[8]  Ces abbés commendataires, d’origine noble recevaient ce titre en cadeau du roi, bien que souvent n’ayant aucune vocation religieuse, mais seulement intéressés par la richesse des revenus et propriétés des abbayes

[9] Agent que l’on établissait en garnison chez un débiteurs pour garder les meubles saisis

[10] Le calendrier républicain a été abandonné le 1er janvier 1806

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