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Jean Guibreteau : résistant de la première heure

 

Jean Guibreteau est né à Saint-Jean-de-Boiseau le 2 juin 1924.  Adhérent de la première



heure dans notre société, il était le détenteur des archives de la résistance de notre secteur. Plusieurs fois je l’ai sollicité pour qu’il explique aux élèves de l’école primaire ce qu’il avait vécu pendant la guerre. Il arrivait avec sa petite valise et enfilait la tenue de résistant qu’il avait conservée. Son air jovial et son humour faisaient aussitôt le contact avec les élèves. Il m’avait confié ce passé d’action auprès de Fred Payen, mais ne voulait pas qu’il soit publié de son vivant. Sa modestie en était la cause. Atteint d’une longue maladie, il nous a quitté pendant l’été et le moment est venu de lui rendre hommage.

J’étais ouvrier mouleur à Indret lorsque les Allemands sont arrivés en France et je suis parti dans la résistance, le 3 septembre 1943, pour ne pas partir travailler pour nos ennemis. Frédérique Payen venait d’organiser à la demande du pharmacien de Basse-Indre nommé Ligonday un réseau au Sud-Loire sur le secteur de la Montagne. Il s’appelait Libé-Nord. C’était en 1943, Fred Payen pris le nom de code de Fred Pernet. Après le groupe a été scindé en deux, un au Nord et l’autre au Sud-Loire. Avant, il y avait quelques actions par-ci par-là, mais rien d’organisé. J’avais 19 ans quand j’ai été contacté par Guiné de la Montagne qui faisait déjà parti du groupe du capitaine Pernet. J’ai pris le nom de code de Galurin, numéro 1273, j’ai rempli un papier qu’on a coupé en deux parties. Fred Pernet en a gardé une moitié et moi l’autre. Les missions qui me furent confiées consistaient à diffuser la presse clandestine que je recevais de René Vinet et Guiné, ainsi que le camouflage des armes et des munitions provenant du camp d’aviation de Château-Bougon. Cet arsenal était ensuite caché chez Vinet et Nédélec. Nous nous réunissions en cachette chez Fred Payen, par petits groupes de 5, jamais plus, et nous ne connaissions pas les autres membres du réseau.

Un jour ou plutôt un soir de bal au café de la paix, je ne sais pas ce qui nous a pris, Yves Legal qui travaillait à Basse-Landes et moi ? On a vu deux Allemands bien saouls et on a voulu leur prendre leur pistolet. On est tombé à bras raccourci sur l’un des deux, dès sa sortie du bal, rue Aristide Briand, et on l’a salement amoché. Ben oui ! mais son copain a foutu le camp en criant. Il a sorti son revolver et il est parti à la caserne du Château-d’Aux pour donner l’alerte. Si bien que l’on n’a même pas pris le pistolet et que l’on est rentré chez nous très inquiets. On est resté trois semaines caché car on avait peur d’être reconnu dans les rues de la Montagne. Après, on a su que les Allemands étaient venus au café de la Paix et qu’ils avaient voulu tuer le petit Le Haie qu’ils pensaient être l’auteur de l’agression. Ca avait failli mal se terminer, les gens du café étaient terrorisés, le gars avait beau nier sa participation, les Allemands ne pensaient qu’à venger leur collègue. Finalement, une des personnes présente est intervenue et à dit : « Vous n’allez pas tuer un père de huit gosses ». Ils ont fini par se calmer et ont laissé le gars en liberté.

C’est surtout la classe 42 qui est partie pour le STO en Allemagne jusqu’à fin août ou mi-septembre, vers les camps d’Elding, Kiel ou Mérane. C’est le cas de Charles Parois. Ceux de la fin d’année 42 et la classe 43 ne sont plus partis d’Indret. D’ailleurs, même dans la classe 42, les premiers départs se sont fait avec ceux d’Indret qui n’étaient pas mariés. Les premiers sont allés sur Mérane près de la frontière Autrichienne, comme Henri Bernard et André Le Bihan que le directeur de l’arsenal est allé chercher chez lui pour le faire partir. Le pauvre a été tué là-bas et tout le monde a alors reproché au chef d’établissement sa décision.

Manquant de main d’œuvre, les Allemands ont ensuite envoyé les mariés sans enfants et dans l’un des derniers à partir il y a eu le père à Michel Bouyer, c’est aussi le plus vieux qui soit parti. Je me souviens de son départ. A cette époque, on était inconscient. Nous étions allés à la gare de Nantes pour donner du ravitaillement à ceux qui partaient. J’avais mes papiers de résistant et de moto bien planqués sur moi. Quand les STO passaient, on leur donnait le casse-croûte et la musette, j’aurai pu me faire coincer !

« Le vieux, comme on l’appelait passa devant nous, on se dit qu’on allait faire comme lui et nous voilà sur le quai de la gare parmi tous les « Colliers de chiens avec leurs cabots ». Seulement ceux qui partaient montaient dans le train, mais nous nous devions ressortir de la gare. Je ne rigolais plus car je pensais, s’ils me fouillent, je suis perdu. Heureusement, il y a eu un concours de circonstances en notre faveur : les STO se sont mis à chanter l’Internationale et casser les vitres du train, les « Colliers de chiens » sont partis pour calmer les récalcitrants et nous on est parti à contre voie pour ressortir 3 à 400 mètres plus loin. Puis, on s’est faufilé parmi les trains et on est remonté par le boulevard Dalby en courant ».

A mes débuts dans la résistance, mon action consistait surtout à distribuer de la presse clandestine, transmise par mon collègue Vinet. Ces journaux s’appelaient : flamme, résistance, franc-tireur et des tracts lancés par la RAF. On recevait aussi des parachutages d’armes et de munitions que l’on cachait chez Vinet et Nédélec.

En 1944, les Allemands ont fait un recensement des jeunes, le commissariat général à la main d’œuvre, comme pour un conseil de révision, à Sainte-Pazanne, pour nous envoyer en Allemagne. J’avais 20 ans. Quelques semaines après, en juillet 1944, j’ai été requis pour travailler pour « les boches » sur le terrain de Château-Bougon. J’étais déjà requis pour Indret, ils m’avaient donné une carte de travail avec un S rouge comme laissez-passer et je me suis sauvé. Je me suis dit qu’ils ne me reprendraient pas. J’ai dit à mon chef Le Rouzic : « Je quitte la marine pour l’instant et je suis parti en Vendée près de Mouchamps où je connaissais l’instituteur. C’était le chef du réseau de résistance du secteur et je me suis présenté à lui le 1er septembre 1944. On faisait de la résistance dans la forêt du parc Soubise. Je suis resté du 13 juillet au 15 septembre, j’étais plus en sécurité là-bas qu’à Saint-Jean-de-Boiseau. Les habitants de ces petits villages de campagne savaient mais ne disaient rien. En plus, ça tournait beaucoup dans la résistance du coin car les gars de la classe 42 qui avaient fait comme moi venaient en transit. Comme je fréquentais la fille Belly, ma future femme, les gens pensaient que j’étais planqué. Par contre, il y avait un habitant du village, proche des Allemands, qui avait demandé des renseignements sur moi. Heureusement que j’avais gardé mon laissez-passer militaire d’Indret. Ce pro-Nazi était le seul à rouler en voiture, même les médecins n’avaient plus d’essence. Ca faisait plutôt louche dans la commune.

J’ai participé sous les ordres du capitaine Fallour, à la libération de Mouchamps. Quand je suis parti mes parents ont été surpris, mais ça faisait un an que ça durait. Pendant cette période, j’ai capturé dans la forêt, un Allemand de 54 ans qui a été transféré à la Roche-sur-Yon. Le commandant Cosse nous avait donné l’ordre de retrouver les armes cachées par les Spahis en 1940. On les a récupérées en bon état.

C’est ma mère, la seule qui savait où je me cachais, qui est venue me chercher en Vendée. Je suis revenue à la Montagne dans le groupe du capitaine Payen, à la demande de l’adjudant–chef Belté, le 15 avril 1944, juste au moment de la libération.

La résistance a cessé son activité à la Montagne le 1 septembre 1944 pour être intégrée avec les FFI. Beaucoup d’entre-eux n’avaient jamais fait partie de la résistance. Ce n’était pas la même chose et beaucoup n’avaient rien à y faire. Il y avait peu de résistants à Saint-Jean, à part moi et Jacques Belté que j’avais fait rentrer. Par contre, après la libération, il y a eu beaucoup de FFI. Pas que des biens ! Ca m’écœurait. Il y en a même qui n’ont jamais été FFI en ligne avec nous, mais ils ont été les premiers à arborer le brassard pour taper sur les gens et voler dans les maisons de ceux qui étaient partis. Ils ne faisaient que des conneries comme disait le père Coursson. Et, il y en avait combien comme ça ? Ceux-là, entre nous, on les appelait les voyous des FFI ! Je ne peux pas dire si eux ont fait tout ce qui a été dit… je ne citerais pas de noms. Avec Fred, on s’est gendarmé, mais on ne pouvait pas tout faire. En tout cas, quelques-uns sont rapidement devenus riches… Moi, j’étais intègre et j’ai toujours mon brassard cousu main, fait dans un ancien brassard Allemand.

C’est à cette période, que nous avons été versés au 10ème bataillon de FFI, à la caserne Cambronne avec Sorin, pour les patrouilles armées. Sur Saint-Jean, il ne se passait rien, il n’y avait pas de point stratégique, tout tournait autour d’Indret et de Château-Bougon. C’est là surtout que nous sommes intervenus quand les boches ont fait sauter l’usine. Nous, nous sommes allés chercher du matériel. On avait une mitrailleuse démontée sur un avion allemand situé à Saint-Aignan. Elle nous a servi au moment de la libération. A part, Vallée de la Montagne, charcutier rue Violin durant l’occupation, aucun de nous n’a été inquiété. Pour lui, par contre ce fut plus grave. Il a été mêlé à une sombre histoire de vol d’armes avec le charcutier de Bouguenais. Il volait les armes allemandes au camp d’aviation et un jour les chleuhs ont retrouvé sa camionnette avec l’artillerie dedans. Il est parti en déportation mais il s’en est tiré. Tous ceux qui ont été déportés de 1943 ne sont pas revenus. Seuls ceux de 1944 ont pu survivre.

A Saint-Jean, il y avait peu d’Allemands, c’était surtout des soldats de passage. Il n’y en a jamais eu à Boiseau, juste un au Bourg chez M Parois et deux chez la famille Herfray, le père de Joseph. L’un d’eux, un pauvre bougre, avait les pieds en sang et c’est la mère de Jojo qui les lui lavait pour le soigner.

Après la libération de la Montagne, nous sommes partis au nord de la Loire et avons été versé au 3ème bataillon FFI pour combattre dans le secteur de de Blain jusqu’au 24 décembre 1944, puis à Plessé.

Tout notre groupe n’a pas suivi. J’étais avec Nédélec, Guiné et Chapron. La poche de Saint-Nazaire allait jusqu’à la lisière de Blain. Nous, nous étions sur la crête, là où passait la ligne de chemin de fer et le canal de Nantes à Brest. Il y a eu quelques accrochages et cela s’est calmé tout doucement jusqu’à la libération le 8 mai 1945.

Je suis rentré à Saint-Jean, le 11 juin, 3 jours après mes fiançailles. J’ai ensuite été affecté dans le train, à la circulation militaire de la Baule. J’avais une moto de service et j’aurai dû faire partie de l’escorte du Général de Gaulle quand il est venu à Saint-Nazaire, mais c’est alors que je suis tombé malade. J’ai toujours le regret de n’avoir pu vivre ce moment-là. C’est à la Baule que j’ai été démobilisé en octobre 1945. J’ai simplement reçu la décoration des combattants volontaires de la résistance qui m’a été remise en 1970 par Michel Debré.

D’autres sont partis sur la Corrèze comme Jean Guillerme, le mari de la factrice, Pierre Orieux marié à Marie-Anne Brisson et le pauvre Jacques Belté. Ils allaient rejoindre la 2ème DB de Delattre de Tassigny qui remontait la vallée du Rhône. Ils ont été pris dans une embuscade en Forêt Noire en avril 1945 : Orieux a été blessé à l’artère fémorale et Belté a été tué d’une balle en pleine tête, il avait 21 ans. 

La vie civile

Jean fut un bon ouvrier à Indret et un habile manuel qui a fait lui-même sa maison rue de la Rigaudière.

Il jouait aussi de l’accordéon et faisait partie du petit orchestre le Manola Jazz de Gabriel Parois et Legal.

Ils animaient les bals de la région et notamment celui du Landas sous le hangar de la rue des Dames. Bout en train à ses heures, il était toujours d’humeur joyeuse.

Agé de 86 ans, sentant sa fin prochaine, dernier détenteur des archives de la résistance de Fred Payen. Il m’a confié ce patrimoine il y a un an et nous en avons fait le dépôt aux archives départementales de Loire-Atlantique, dans un fond au nom de notre société.

Sur l’interview que nous avions fait je n’ai supprimé qu’un court passage de l’épisode sur les FFI de la dernière heure, qu’il aurait aimé voir figuré, mais qui mettait en cause des personnes encore vivantes. Ce sera pour plus tard.

 En tout cas, Jean, toi le modeste tu avais la conscience tranquille et tu ne cherchais ni la fortune ni la gloire. Ta fierté était d’avoir participé à la défense de ton pays et de sa liberté. Soit-en remercié, nous ne t’oublierons pas.

 

Jean-Luc Ricordeau

 

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