L'enfance de Pierre Fréor
« Je naquis le 13 décembre 1896 à Lorient dans un meublé de la rue du Morbihan. Mon père, ouvrier chaudronnier à l'établissement de la marine nationale d 'Indret, après son admission à l'école de maistrance, avait épousé ma mère Anna Monier, puis avait été admis à l 'école technique de Lorient ». Il sera contremaître
Une fois la formation accomplie, le jeune ménage s'en revient avec le petit Pierre dans ses bagages. La grand-mère Angélique Fréor les héberge quelques temps dans une petite maison à Saint-Jean-de-Boiseau.
« La famille s'étant agrandie avec la venue de mon frère Alfred et de ma sœur Anna, mes parents firent l'acquisition d'une nouvelle demeure rue de la Paix. Nous emménageâmes le 15 septembre 1908. Le logement, plus vaste, était confortable.
Ma mère s'était établi « tailleuse » et prenait des apprenties. Aucun contrat n'était passé, la parole suffisait. A tour de rôle, trois jeunes filles des environs apprenaient la couture, assises près de la fenêtre. Le stage était de dix-huit mois. Chaque apprentie payait à ma mère trente sous par mois (il fallait vingt sous pour faire un franc). Les apprenties étaient, suivant l'usage, turbulentes et surtout curieuses, attentives au moindre passage des voisins de la rue. Aussi, mon père avait- il « meublé » les bords de la fenêtre de trois pots de basilic odorant et soigneusement entretenus pour masquer tout regard».
Dès l'âge de quatre ans, Pierre va à l'école maternelle de la Briandière à la Montagne (l'actuelle caserne des pompiers). Puis, l'année suivante il fait sa scolarité à l'école publique communale de Saint-Jean-de-Boiseau. Chaque jour, avec ses camarades, il parcourt, à pied, les deux kilomètres aller et retour de son domicile à l'école. Chaussé de sabots bridés de cuir, habillé d'une blouse noire et d'un capuchon de la même couleur, il porte sur son dos son cartable de cuir contenant ses livres, ses cahiers et son déjeuner. Il n'y a pas de cantine et le repas, pris sous le préau de l'école, se compose de tartines beurrées, d'un œuf et des galettes (tartines grillées dans le four de la cuisinière Godin). « Notre boisson était l'eau que procurait la pompe à piston qui se trouvait près de la petite classe. Nous nous amusions, chacun à notre tour, à boire à pleine bouche. L'hiver il fallait aussi apporter à tour de rôle les bûches pour alimenter le poêle de la classe.
Le jeudi, le jour de congé, il va au patronage. Les jeux se déroulaient dans le parc du château du Pé ». Pierre et son frère y passent de bons moments. Ils seront parmi les premiers adhérents de la société paroissiale l'Alerte en 1909. Inscrits dans les sections gymnastique et théâtre ils participeront aux compétitions et spectacles qui se déroulent dans les communes environnantes. De ces activités, Pierre n'est pas prolixe de détails dans ses mémoires. Ses exploits sportifs sont plus que modestes. Après la gymnastique il essayera le football où il joue goal sans plus de succès. Il prend alors conscience qu'il a peu d'aptitudes pour le sport et ne persistera plus dans cette voie.
L'enfance de Pierre Fréor a été bercée par l'activité maritime des petits ports de Boiseau. En effet, au bas du coteau de son village, un bras de Loire de trente mètres de large, aujourd'hui comblé, permettait aux petites embarcations de naviguer en toute sécurité jusqu'à Port Lavigne en Bouguenais. En toutes saisons le port de Boiseau et sa cale sont un lieu de rencontre entre les habitants. Il accompagne son père dès son plus jeune âge et assiste à la pêche aux aloses avec les vieilles toues à balancier et participe à la pêche aux civelles, l'hiver, avec un tamis en grillage pour garde-manger. Ces distractions procurent aux habitants une nourriture bon marché. Les civelles sont aujourd'hui rares et chères. Elles étaient si abondantes autrefois que le surplus était donné aux poules. L'été on pêchait les anguilles à la ligne ou à la « biguenée ». Une plage naturelle de sable fin, près du Port Navalo servait à la baignade en famille. Enfin, vers la fin de l'été, les herbagers sur leurs toues couplées deux à deux venaient décharger, sur la cale, les piles de roux et les mulons de foin. Après quelques jours de séchage, les javelles de roux et le foin étaient chargés dans des charrettes tirées par des bœufs ou un cheval pour être acheminées dans les fermes des environs. C'était alors le va-et-vient des convois, à travers le village, jusqu'à la tombée du jour. Les habitants, assis sur un banc, devant leur maison, devisaient de tout et de rien avec les voisins, tout en regardant ce défilé comme au spectacle
Pierre Fréor a aussi vécu les grandes crues qui, chaque hiver, inondaient les habitations situées en contrebas de son village, obligeant les habitants à monter le mobilier à l'étage. Il a vu les ouvriers se rendre en plates et en toues à l'arsenal d'Indret, alors que la chaussée était recouverte pendant plusieurs semaines. Il a passé d'agréables moments en observant les compétitions qui opposaient les pêcheurs locaux dans les régates organisées à Basse-Indre ou au Pellerin. Adulte, il connaissait tous les pêcheurs de la rivière et du Lac de Grandli'eu.
Les revenus, même pour un contremaître sont modestes, aussi, son père, comme chaque ouvrier du village, disposait de lopins de terre pour la culture du potager et quelques planches de vigne. Il a ainsi participé, aux battages, aux vendanges, autant d'occasions de réjouissances collectives entre voisins. Moments de l'existence aujourd'hui disparus qu'il a su traduire, par l'intermédiaire de son appareil photographique.
Ses débuts dans la photographie
Pierre a eu la chance de naître à une époque charnière de l'évolution du monde rural. Proche d'Indret il côtoie le monde industriel alors que le Pays-de-Retz reste avec ses traditions ancestrales. Il va ainsi assister à la révolution technologique avec l'arrivée des premiers engins à moteurs, et être le témoin des débuts de l'aviation, du cinéma avec ses projectionnistes ambulants, de la « fée électricité » qui vont progressivement transformer la vie et les paysages de toute cette région. Il fait la découverte de la photographie en lisant un article dans le journal de son père : Le « phare de la Loire ».
« Ma jeunesse s'écoulait paisiblement. Les journaux de l'époque relataient les progrès accomplis dans l'exploitation d'un nouveau procédé obtenu par une découverte des frères Lumière et j'entendais mes parents en parler. La photographie n'en était qu'à ses débuts, peu de personnes s'étaient payé le luxe de se faire photographier ...
J'avais un lointain cousin du côté de ma mère qui habitait Paris et venait passer quelques jours près de son père, le garde- champêtre du village (le père Mainguy), plusieurs fois par an. Or, ce fils avait été attiré par les résultats obtenus par les premiers amateurs pratiquant la photographie. Il possédait un appareil 9x12, de format courant pour l'époque et, à Saint-Jean, faisait sensation en photographiant les parents et l'intimité de la famille. A sa mort, j'avais peut-être treize ans à l'époque, mon cousin René Monier (cousin germain du garde-champêtre) m'avait présenté une boîte de plaques négatives 9x12 et un châssis-presse servant au tirage des photos, que le défunt avait laissés en dépôt chez son père. C'est alors que j'eus la tentation d'essayer de « tirer des photos » et je lui empruntai ce matériel. Je savais qu'à Indret (l'arsenal), existait un service photographique pour la reproduction des plans.
Ce terme « photographique » était beaucoup exagéré ; il consistait, pour l 'ouvrier, à exposer au soleil un plan transparent exécuté à l'encre de Chine, et à le mettre en contact à l'aide d'un grand châssis-presse, pour obtenir le nombre désiré de copies nécessaires au service technique, avec deux sortes de papier : le bleu, le « prussiate » et le « maronnia » en brun.
Je demandais à mon père de m'apporter des coupes de ces papiers sensibles et j'obtenais des images brunes ou marron des personnages que le fils Mainguy avait pris en photo et que je connaissais très bien. Le traitement et la fixation de l'image étaient obtenus par simple lavage. Ma curiosité fut telle que j'entrepris de m'intéresser complètement à cette nouvelle science très peu connue dans mon entourage. Je fis d'abord l'acquisition d'une petite brochure qui m'indiquait les méthodes de traitements pour obtenir, par développement et fixage des négatifs puis par contact avec du papier sensible, des portraits semblables à ceux du fils Mainguy. Je reconnais que le papier d'lndret n'avait rien d'artistique, mais ces premières images étaient pour moi une révélation !
Je fis alors l'achat à Nantes, passage Pommeraye, mes ressources financières étant des plus réduites, d'un appareil au plus bas prix. C'était, pour vingt-neuf sous, un petit cube en carton bouilli noir, du format 4x4, qui portait la marque « Franceville ». Il était fourni avec trois châssis qui pouvaient contenir les plaques sensibles susceptibles d'enregistrer un portrait. Je fis mes débuts ! »
Tous deux de caractère assez fort, Pierre et son père entretenaient des relations souvent orageuses lorsque le loisir prenait plus d'intérêt que les études. Pierre Fréor père destinait son fils à la même carrière que la sienne, c'est à dire ouvrier puis si possible agent de maîtrise à l'arsenal d'Indret. Aussi l'adolescent préféra-t-il installer son premier laboratoire, pour le développement de ses clichés, dans une chambre, chez la brave grand-mère Monier.
« Le support de mon minuscule appareil était ... une demi-barrique sur laquelle je le posais, et mes premiers modèles furent grand-mère, mon frère, ma sœur et certains membres de ma famille, debout devant la clôture.
En observant les indications de ma brochure, l'introduction du petit châssis, la manœuvre de la petite tirette qui servait d'obturateur pendant deux secondes, en recommandant bien à mon modèle de rester immobile, je lâchais l'élastique, refermais le châssis et j'entrais dans la chambre noire. J'allumais la bougie de la lanterne recouverte de papier rouge, je posais la plaque et je voyais apparaître lentement dans le révélateur l'image négative de mon modèle. J'attendais le séchage complet pour exécuter, par contact sur un papier bleu ou marron, l'image positive. J'étais de plus en plus acquis à cette mystérieuse méthode que je trouvais passionnante.
Le papier d'Indret présentait un résultat peu artistique. Je fis venir du véritable papier photographique au citrate. Alors, j'obtenais des images légèrement violacées assez jolies. La netteté de ce procédé me permettait d'obtenir des portraits fidèles qui, collés sur de petits cartons, faisaient une excellente impression. Mes premiers succès m'encouragèrent à persévérer dans cette pratique et je rêvais de posséder un jour un appareil plus perfectionné ».
En 1910, il est reçu à son certificat d'étude. Il se distingue de ses camarades car il préfère comme récompense un appareil photo au traditionnel vélo. Il fera l'achat d'un appareil « Foolding » 9x12 et d'un pied télescopique. Ce nouveau moyen performant va lui permettre de démarrer cette très riche collection de plaques de verre en immortalisant les pêcheurs et pêcheuses de civelles à la cale de Boiseau. Ce qui n'était qu'un loisir va rapidement devenir un complément de ressources.
« Aucun photographe n'existait dans les environs en dehors de Nantes. Ainsi, des clients se présentaient- ils parfois à la maison pour être « pris en portrait » ... Lorsque le cliché était sec, c'est aussi chez grand-mère que je procédais à mes tirages sur cartes postales que je vendais 35 sous les six et 3 francs la douzaine. Ce qu'elle a pu être patiente, grand-mère, pour supporter tout ce tracas que je lui faisais subir pendant toutes mes opérations de tirages ».
A la belle saison, les clients sont plus nombreux. Lors des vendanges ou des battages, les fermes des environs invitent Pierre Fréor à venir photographier les équipes de travailleurs. Sa réputation se répand et, compte tenu de ses horaires de travail comme apprenti tourneur, ilne peut satisfaire seul sa clientèle.
« Alors, je demandais le secours de la famille : mon frère Alfred, ma sœur Anna et quelquefois mon cousin Pierre Gautier. J'avoue qu'ils acceptaient sans satisfaction ! Je les récompensais de mon mieux, mais ce n'était pas pour eux une distraction. Ma sœur se montrait moins docile. Lorsque le développement de l'image apparaissait trop ou pas assez posé, je manifestais ma mauvaise humeur qui n'était pas toujours très appréciée. Ma sœur posait le châssis et claquait la porte. Je devais continuer seul !».
Après son apprentissage, il passe ouvrier. Puis il effectue son service militaire dans l'aviation. Là encore, muni de son éternel outil, il photographie les camarades de la base et les avions. Il aime tout ce qui concerne l'aéronautique. Maneyrol, le jeune aviateur de Frossay, était pour lui un héros. Son plus grand regret de photographe a été de ne pouvoir saisir le frêle aéroplane survolant la Loire lors d'un meeting au Pellerin en 1913. Ce jour-là, la luminosité était insuffisante pour son modeste appareil.
De retour à la vie civile, il épouse une demoiselle Jaunâtre avec laquelle il aura quatre enfants.En 1921, il installe son premier studio dans une dépendance de la maison qu'il habite à Boiseau, puis en 1922 rue du Calvaire à La Montagne. Tout en continuant son métier à Indret il devient professionnel à mi-temps comme photographe. La clientèle augmente régulièrement, notamment dans les villages éloignés. Il doit se résoudre à acheter une bicyclette bien qu'il n'aime pas ce genre de moyen de locomotion car les crevaisons sont fréquentes en raison des « cabosses » des sabots (clous à tête arrondie).
« Lorsque la bicyclette passait sur la cabosse, celle-ci se piquait dans le pneu et perçait la chambre à air. La réparation était pénible, il fallait retourner le vélo en le reposant sur le guidon et la selle, démonter le pneu, chercher le trou, y déposer la colle « dissolution » et laisser sécher puis faire la même opération sur le morceau de chambre à air déclassée. Enfin après dix minutes il fallait appliquer fortement les deux parties, remonter le tout et regonfler en espérant qu 'il n’y ait pas une nouvelle fuite. Les crevaisons alors très courantes rendaient les réparations très pénibles en hiver ».
Il fait alors l'achat d'une moto, engin plus rapide mais parfois dangereux. Les photos de groupe pour les mariages nécessitent l'emploi d'une estrade qu'il ne peut transporter sur son deux-roues. En 1926, il fait l'achat d'une automobile, une « Quadriette Peugeot », qui va lui permettre d'emporter un matériel de plus en plus conséquent. Il va ainsi parcourir le Pays de Retz et nous rapporter ces scènes d'un autre âge puisées au cœur de la campagne. Sa curiosité et son contact chaleureux avec les gens lui permettent d'accéder partout. Il connaît tout le monde et obtient de ses clients qu'ils posent pour lui dans leur façon de vivre au quotidien. « Mon p'tit gars, me disait-il, dans ce pays on obtient ce qu'on veut des gens quand on accepte de les accompagner à la cave ».
C'est ainsi qu'il nous a légué ces scènes de labours et autres vieux métiers, ces images des bords de Loire, de la Côte de Jade ou du lac de Grandlieu, des cérémonies religieuses, des têtes, des kermesses, de même que ces portraits de femmes en coiffe.
En 1930 il installe son premier magasin 8, rue d'Indret, à la Montagne, aidé par sa femme et ses deux filles. Il aménage son studio à l'étage de la maison car il y avait un bon éclairage.
Au début des années 1940, les affaires sont florissantes et avec les premières économies, il achète un terrain au bord de la mer au Cormier. Il y construira sa maison de vacances et assistera à l'essor des stations balnéaires de la côte de Jade avec l'arrivée des touristes ouvriers et leurs premiers congés payés.
Photographe professionnel pendant la guerre 39-45
En 1943, il est licencié de l'arsenal par les Allemands. Ses absences répétées (les bons de sorties) pour satisfaire sa clientèle en photographie, sont si nombreuses qu'il devra faire trois mois de travail supplémentaire pour épurer son retard à Indret. Ce licenciement providentiel va lui permettre de s'installer définitivement comme photographe. Au début de la guerre de nouveaux clients viennent régulièrement se faire prendre en photo pour envoyer à leurs familles : ce sont des Annamites. Ces Indochinois sont mobilisés par la France pour renforcer l'effectif de l'arsenal d'Indret dont une partie des ouvriers est affecté à la défense du pays. Ils vivent misérablement dans deux camps de fortunes aménagés à Boiseau, l'un dans la carrière désaffectée de la Briandière et l'autre à la Cruaudière. Ils venaient à plusieurs, vêtus de leurs plus beaux vêtements, pour ne pas inquiéter leurs parents. Ils demandaient à se faire photographier dans la cuisine attablée devant un bon repas qui était bien sûr celui de Pierre Fréor. Dans cette position ils avaient les pieds sous la table ce qui cachait le pantalon usé et l'état pitoyable des chaussures. « Comme ils crevaient de faim ils chapardaient beaucoup et c'est ainsi que notre repas était souvent amputé de quelques fruits ou charcuterie qui finissaient dans l'estomac des asiatiques. Au bout de quelques temps je me méfiais et quand je les voyais arriver je disais à ma femme : " Attention voilà les annamites, planque tout. ".
Ces pauvres indochinois se rattraperont sur les chats du village dont les ossements seront découverts bien des années après, lors des travaux d'aménagement du rond-point du « Chat qui Guette ».
Autre anecdote qui montre un côté méconnu de Pierre Fréor. Dans l'atelier qu'il avait aménagé dans son jardin, il avait installé un concasseur pour moudre le blé en cachette. L'installation électrique était vétuste mais fonctionnait bien. Lorsqu'il farinait, le soir, tous ses voisins pouvaient constater une baisse de tension de l'éclairage car le moteur était un gros consommateur d'énergie. Après le départ des Annamites ce sont les Allemands qui vinrent se faire tirer le portrait dans leur plus bel uniforme. Un jour un gradé se présenta à la porte pendant que Pierre était en plein travail prohibé. Par sécurité il avait installé dans 1'atelier un fil avec une petite clochette qui pouvait être actionnée de la maison. Madame Fréor alerta alors son mari avec cet engin pour lui faire comprendre que l'occupant était là. Il éteignit le concasseur puis regagna la maison pour venir photographier l'Allemand. Sa femme n'en menait pas large quand il apparut. Il avait enlevé sa blouse mais ses cheveux et son visage étaient recouverts de farine. L'Allemand le remarqua et lui demanda ce qu'il faisait. Pierre, non dépourvu, répondit qu'il réparait un mur avec du plâtre, mais le subterfuge n'était pas crédible, car, regardant par la fenêtre, l'officier s'aperçut que le toit de l'atelier et quelques arbres autour avaient aussi la même teinte. « Petit français filou » ajouta-t ‘il. Heureusement il n'était sans doute pas méchant car il n'y eut pas de suite. Malgré cette alerte, Pierre continua son travail clandestin dont profitaient aussi tous ses voisins.
Durant cette période il eut aussi une autre activité moins connue, c'est celle de photographier les accidents pour les constats de la gendarmerie du Pellerin.
Le photographe et le peintre
Son commerce devenu florissant, il ne peut consacrer son temps à l'iconographie du patrimoine, mais il accumule les clichés sur les photos scolaires, les mariages, les fêtes locales, autant de documents qui présentent un intérêt pour l'étude du costume à travers les époques.
On ne peut terminer cet hommage à Pierre Fréor dans sa période photo sans parler de son ami le peintre Edmond Bertreux.
Le peintre venait régulièrement chez sa grand-mère à Boiseau. Ayant quinze ans de moins, il considérait son ami photographe comme un grand frère. Pierre, de son côté, s'intéressait à ce gamin maigrichon qui parcourait les environs avec son crayon et du papier, dessinant sur le vif ce qu'il voyait.
Leur amour pour le Pays de Retz fortifia leur amitié entrecoupée de fréquentes disputes suivies de réconciliations rapides. Pierre était curieux de tout et s'intéressait aux nouvelles technologies, Edmond avait un côté plus à contre-courant qu'il arborait jusque dans sa tenue vestimentaire. Les deux hommes ont entretenu une complicité pendant plus d'un demi-siècle, qui s'est traduite par une émulation dans leurs travaux. On les croisait fréquemment ensemble dans une église, une vieille chapelle, un château ou dans une barque de pêche sur le lac de Grandlieu, cueillant au passage des « macres » (châtaignes d'eau). Pierre avait son appareil photo en « batterie » tandis qu'Edmond crayonnait ses esquisses sur un cahier en vue de nouvelles toiles.
Beaucoup de tableaux du peintre sont la reproduction de photos de Pierre Fréor. Dans leur correspondance, on retrouve souvent des demandes d'Edmond Bertreux pour des photos prises sur le vif de personnages exécutant des travaux. Toutes les églises, chapelles, moulins, calvaires ou châteaux du Pays de Retz ont été photographiés pour des commandes du peintre qui sont venues enrichir le fonds iconographique. Leurs égéries furent la mère Bézias, la pauvre femme du meunier du moulin de la Rochelle en Saint-Jean-de-Boiseau et la mère Bronais. Deux visages ridés et expressifs d'une vie rude d'un autre âge.
La période histoire de Pierre Fréor
A partir du milieu des années 1950, Pierre Fréor prend sa retraite et laisse sa succession à son fils. Dès lors il va délaisser la photographie pour se consacrer à l'histoire Il sera un collaborateur infatigable du Courrier de Paimboeuf à partir de 1948. Il débute par les photographies d'actualités (mariages et réunions) avec une brève légende. Son premier article dans ce journal concernera « le mystère des Hybrides » en 1952.
Je le revois dans cette petite pièce devant sa machine à écrire frappant avec un doigt les touches qui imprimaient le texte sur un papier très fin. Les lettres du peintre tapissaient les murs de ce modeste bureau. Elles comportaient toujours un dessin à la gouache ou à l'encre noire souvent sur des paysages de Saint-Jean-de-Boiseau.
Sa bibliothèque ne contenait que des ouvrages d'histoire qu'il avait reliés lui-même. Il s'est passionné pour les événements tragiques des guerres de Vendée dans notre région, la seigneurie des Binet de Jasson, le Lac de Grand-Lieu, la seigneurie de Princé et les légendes ou traditions comme le « Cheval Mallet ». En 1977, il publiera une monographie sur l'histoire de la commune de La Montagne. Il sera récompensé en 1979 du prix Alfred Gernoux par la Société Académique de Nantes pour sa participation, à travers ses articles, à diverses revues savantes. Avec son ami Jean Mounès il rédigea l'ouvrage « Visages du Pays de Retz » qui est toujours utilisé par les organisateurs de rallyes. Ils seront tous des membres fondateurs du musée des « Amis du Pays de Retz » à Bourgneuf.
Membre du souvenir vendéen, Pierre Fréor sera également l'un des fondateurs, avec Emile Boutin, Dominique Pierrelée et Michel Lopez de la Société des historiens du Pays de Retz dont il sera le premier président en 1981. L'ensemble de ses écrits et publications historiques
Parmi ses répertoriés dans le bulletin aussi Jean Brochard, l'acteur de théâtre numéro trois et cinéma, qui venait régulièrement dans sa maison « l'Entracte » à Saint-Jean-de-Boiseau.
Pierre Fréor s'est éteint le 18 octobre 1983, mais le souvenir de l'homme amoureux de son terroir n'est pas tombé dans l'oubli. Longtemps encore les historiens utiliseront le fruit de l'importante documentation qu'il nous a laissée. L'exposition itinérante et le livre qui lui sont consacrés par notre société sont le témoignage de notre reconnaissance.
Jean-Luc Ricordeau