A SAINT-JEAN-DE-BOISEAU ET LA MONTAGNE, LE NOM COROLLER
VOUS RAPPELLE-T-IL QUELQUE CHOSE ?Dans les années 1750, les familles Coroller de la région de Guidel et Lorient, dans le Morbihan, travaillent pour la plupart comme charpentiers ou calfats dans la construction de bateaux au port de Lorient ou comme charpentiers-menuisiers sur les navires qui voyagent vers nos colonies.
Mais en 1828, le Chantier Royal de constructions d’Indret entreprend la construction de machines et de bateaux à vapeur et a un grand besoin de personnel spécialisé.
Louis-Marie Coroller, charpentier à l’arsenal de Lorient, envoie ses deux fils à l’arsenal d’Indret : Louis-Napoléon d’abord charpentier puis commis, et son frère Pierre-Marie menuisier de marine. Louis-Napoléon devient très vite commis principal et se marie, le 6 août 1832, à Indre avec Jeanne-Marie Vinouse. De cette union naissent six garçons. Quant à Pierre-Marie, il se marie à Saint-Jean-de-Boiseau avec Marie-Virginie Poudat, le 29 avril 1844 (Marie-Virginie est la fille de Victor Poudat, ancien gendarme à Oudon, puis instituteur à Saint-Jean-de-Boiseau à la rentrée d’octobre 1838. Il décède brusquement l’année suivante). De ce dernier mariage, 5 filles et 1 garçon vont naître.
Deux des enfants de Louis-Napoléon nous intéressent plus particulièrement :
- Louis-Philippe né le 23 mai 1833 à Indret, il devient charpentier puis contremaître à l’Arsenal.
- Henri-Louis né le 30 avril 1835 sur l’île d’Indret, devient chaudronnier et le 1er nommé, par le préfet le 25 avril 1868, comme représentant de l’Etat pour le Conseil de Fabrique de la nouvelle paroisse de la Montagne.
Les deux frères épousent deux soeurs d'une famille de Bouguenais : Joséphine-Alexandrine Salmon avec Henri et Marie-Françoise avec Louis.
Louis-Philippe et Marie-Françoise ont 2 garçons et 2 filles (Louis-Henri, Joséphine-Marie, Léon-Joseph-Marie et Marie-Angélique Henriette). Léon-Joseph se marie à Joséphine Louerat, on dit de lui à son décès qu’il était un exemple de charité, il ne savait pas dire non, il rendait service à qui se présentait. Il fut conseiller de la Fabrique pendant 23 ans. Son frère aîné, Louis-Henri né en 1866, fait ses études à Nantes. Il fait son service militaire au 137e RI et, en 1888, il est recruté à la 11e section des secrétaires d’Etat. Il devient caporal puis sergent et il est classé à la fin de son service aux affaires spéciales de l’établissement d’Indret, commis de 4e classe le 10 avril 1891. Il rencontre une jeune institutrice Mlle Marie-Amélie-Véronique Legal dont la famille est, depuis 1700, originaire de Saint-Jean-de Boiseau. Son père est employé à la marine. Elle fait d'abord la classe à la maternelle publique rue de Craon à Saint-Nazaire. Ils se fiancent officiellement à la mairie de la Montagne le dimanche 9 octobre 1892, et le maire Violin signe cette première publication. Ils se marient le 9 octobre 1892.
En 1891, Madame Coroller est nommée directrice de la nouvelle école maternelle de la Montagne à la Briandière. A la première rentrée elle débute seule avec 106 élèves et est très vite secondée par Mlle Vergely qui se met ″ … gracieusement à la disposition de l’administration… ″ tel qu’il est écrit dans un courrier du maire Violin adressé à l’Académie. Dès la seconde rentrée, le maire se plaint auprès de l’inspecteur d’Académie et du Préfet, pour obtenir un deuxième poste d’institutrice car l’effectif est monté à 128 enfants. Il désire avoir une institutrice célibataire pour pouvoir la loger dans une des pièces libres de l’appartement de la directrice.
Le 22 décembre 1893, Madame Coroller accouche de Louis-Pierre puis d’Emile le 20 août 1897. Les deux enfants grandissent et fréquentent l’école de leur mère puis l’école de garçons avec M. Charles Averty. Ils vont suivre le même parcours à quatre ans de différence. A 12 ans, Louis entre à l’E. N. P. 20 de Livet à Nantes rue Sainte Marie où les parents payent 25 f par trimestre.
Emile rentre en octobre 1910 dans la nouvelle école Livet située dans l’ancien séminaire.
Tous les deux poursuivent leurs études à l’école des Arts et Métiers d’Angers. Louis termine major de sa promotion en 1912 et l’année suivante, il rentre pour un an à l’Ecole Supérieure de l’Aéronautique (SUPaéro) nouvellement créée en 1908. Il devient major de sa promotion une nouvelle fois, avec une moyenne de 17,57. Dans la même promotion il y a Marcel Bloch. Quant à Emile, il sort 5e de sa promo en 1914. Il créera la Société Bloch. Né de parents juifs, il deviendra catholique.
SUPAéro » est une des plus anciennes écoles d'ingénieurs pour l'aéronautique et l'espace. En 1909, le Colonel Roche, officier du Génie, fonde à Paris l'École Supérieure d'Aéronautique et de Constructions Mécaniques. Elle devient École nationale en 1930 et prend le nom d'École Nationale Supérieure de l'Aéronautique, puis en 1972 celui d'École Nationale Supérieure de l'Aéronautique et de l'Espace plus simplement appelée « SUPAéro ». En 1913 cette école est située au 93 rue de Clignancourt au pied de la Butte Montmartre.
En octobre 1913, Louis incorpore l’armée au camp de Saint-Cyr-l’Ecole comme sapeur aérostier sur le même terrain que les aéronefs Zodiac. Il est muté en avril 1914 au laboratoire de l’aéronautique à Chalais-Meudon où il retrouve ses copains Marcel Bloch et Henry Potez. La guerre éclate et son commandant, le colonnel Dorand l’affecte comme mécanicien à l’escadrille DO22. A cette époque, il fait un stage moteur chez Farman. En 1916, il rentre au S.T.Aé (service technique de l’aéronautique) et est promu au grade de sergent. Il retrouve ses amis Bloch et Potez qui viennent de créer l’hélice « Éclair » qui équipera l’avion de Guynemer (le Spad).
Ces deux amis veulent construire un avion et Louis Coroller est chargé de sa conception. Il travaille de jour au S.T.Aé (au ministère de la guerre) à faire les calculs et les dessins pour divers avions. Le soir, avec ses deux amis, de 19 heures à minuit, dans la chambre qu’ils ont louée rue de Constantine (sur l’esplanade des Invalides), il réalise les plans et les calculs de leur avion SEA1. Le dimanche, ils vont voir l’avion se construire à Courbevoie dans le garage du célèbre carrossier Labourdette et remettent aux ouvriers les nouveaux dessins qu’ils viennent d’élaborer. Hélas, sa hiérarchie n’apprécie pas cette double activité. M. Caquot, qui a succédé au colonel Dorand, le convoque pour lui dire que les anciens avionneurs bien en place voient d’un mauvais œil la nouvelle société SEA créée par lui et ses amis, car cela leur faire de la concurrence. Pour l’éloigner, on lui fait franchir deux échelons et il est nommé sous-lieutenant, mais on le mute avec la mission qui part pour les États Unis (mission Guiche).
En 1918, l’aviation française est la plus importante au monde. Elle compte près de 12 000 appareils sur les différents fronts, dans les écoles et dépôts de l’arrière. Les Américains par contre, sont très pauvres en avions militaires et la France propose de les aider. Il faut savoir que les Etats-Unis ne possèdent que 55 appareils au début de leur engagement dans le conflit de la guerre 14-18. La mission a pour but la construction du premier avion de l’United States Army Air Corps avec le capitaine Lepère. L’appareil sera nommé Lepère « Usac II » mais les Américains vont l’appeler « Lucac 11 » car ils n’aiment pas les chiffres romains. La fabrication des avions de guerre par les Américains est lancée grâce à l’équipe française. Mais la guerre se termine et « Lucac 11 » est abandonné.
Le 21 août 1918, Henry Potez écrit au lieutenant Louis Coroller aux États-Unis : ″ …Nous allons recevoir incessamment un moteur Liberty pour monter sur notre avion SEA, et ta présence serait donc plus indispensable encore, ayant toi-même déjà fait la mise au point de ce moteur sur avion en Amérique… ″.
A l’armistice, malgré les sollicitations des Américains qui veulent le garder, Louis rentre en France pour être quelque temps professeur à SUPAero. Ses amis Potez et Bloch qui ont monté leur société de construction d’avions dans une ancienne usine d’équarrissage à Aubervilliers : la « Société d'Etudes Aéronautique » (SEA), lui proposent la place de directeur technique. La guerre finie. En 1919, Potez reste seul avec Louis car Marcel Bloch revend ses parts à Henry Potez. Il quitte l’aviation pour la fabrication de meubles et investit dans l’immobilier.
Différentes versions des avions Potez vont être conçues par Louis et on va déménager l’usine à Levallois. Louis « planche » sur des avions de tourisme et de commerce. En 1920, le « Potez 7 », doté de deux places passagers, voit le jour et on en équipe la ligne Paris-Prague. La principale commande émane de la Compagnie Franco-Roumaine de Navigation Aérienne. Dans la même année, l'ingénieur Delaruelle est recruté pour seconder Louis. Ils étudient alors de nouveaux avions pour la marine et les premiers hydravions vont apparaître sur le marché.
C’est à cette époque que les deux frères Coroller viennent se marier à la Montagne. Louis épouse Yvonne Lubac le 7 avril 1921 dont la mère, veuve, vit à la Montagne. Son frère Émile se marie le 8 août de la même année avec Georgette Riallan, fille de Georges Désiré Riallan et de Cécile-Anne Chambrin.
Dans Ouest-Eclair, du 31 aout 1923 on peut lire :
″ Nous apprenons avec plaisir que M Louis Coroller, fils de M Coroller, Commis principal de la marine en retraite et de notre sympathique ex-directrice de l’Ecole maternelle, vient d’être décoré de la Croix de Chevalier de la Légion d’Honneur, au titre de l’Aéronautique avec la citation suivante : « Coroller Louis, ingénieur, 16 ans de services militaires et de pratique professionnelle. Ingénieur de valeur dont le labeur scientifique et les réalisations pratiques ont été et sont très remarquables. Collabore de la façon la plus étroite et la plus heureuse aux conceptions, constructions et mises au point de la maison Potez… ».
Carol et Arrachart :
Nous rappelons que c’est l’ingénieur Coroller qui a mis au point l’avion monté par Carol et Arrachart, auteurs du fameux raid Paris-Constantinople-Moscou-Copenhague, en trois jours. Nous sommes heureux de lui adresser ici nos sincères félicitations″.
Ludovic Arrachart, né à Besançon le 15 août 1897 est capitaine d’aviation au Bourget lorsqu’il entreprend son raid le 10 août 1925. Il est accompagné de l’ingénieur Henri Carol. C’est Louis Coroller qui est responsable de la mise au point de l’avion Potez GR 25. Partis de Villacoublay sous l’orage, ils bouclent leur tour d’Europe de 7420 kilomètres sur trois jours, en 39 heures, à la moyenne de 190 km/heure. Ils atterrissent au Bourget à 21h, où, parmi la foule présente, se trouvent MM Laurent Eynac le sous-secrétaire d’Etat à l’aéronautique, Henri Potez, Louis Coroller et Henri Blériot. En 1925, le succès du Potez 25, construit à plus de 7 000 appareils en 87 versions, oblige Henry Potez à quitter son site de Levallois-Perret pour Méaulte dans la Somme. La nouvelle usine sur 25 000 m² dispose de son aéroport et devient la plus moderne du monde jusqu’en 1934. On y a prévu deux secteurs d’activités : la production et la réalisation de prototypes : deux usines en une. Le bureau d'étude, le laboratoire de recherche et l’unité de construction de prototypes sont sous l'autorité de Louis Coroller. On y construit des avions de tourisme, de commerce, de guerre et aussi des hydravions. La carrière de Louis Coroller se confond avec l’histoire de la société Potez. Ses idées nouvelles et ses études vont modifier l’aviation : ailes simplifiées, train d’atterrissage à jambes télescopiques, possibilité d’utiliser tous les moteurs 400 et 550 CV.
Son frère Emile devient le directeur du contrôle technique de cette nouvelle usine en 1933. La carrière du Potez 25 prend fin en 1943. Un des nombreux exploits de cet avion est la traversée de la Cordillère des Andes, le 13 juin 1930, avec aux commandes Henri Guillaumet.
Marcel Bloch revient à l’aviation dans les années 1930, pour devenir le plus important et le plus connu des industriels de l’aviation civile et militaire grâce à son appareil mythique, le Mirage.
En 1946 la Société Bloch deviendra Bloch-Dassault puis en 1950 Marcel Dassault.
Mais la guerre éclate et l’Etat va nationaliser les entreprises d’aviation. Avec les sommes perçues Potez, Bloch et Abel-François Chirac leur banquier (ce dernier est le père de jacques Chirac), ils réinvestissent en fondant La Banque Commerciale de Paris.
Les Ingénieurs Louis Coroller et Delaruelle créent le prototype du Potez 63 à l’usine de Méaulte. Le premier vol a lieu en avril 1936. L’avion rentre en service actif en 1938. Louis va l’améliorer avec la version Potez 63-11 qui sera, avec le Potez 25, ses deux plus belles réalisations. Le conflit sous-jacent avec l’Allemagne oblige la France à lancer un grand programme de production d’avions militaires. L’Armée ayant un besoin urgent d’avions de reconnaissance performants, Potez propose le type 63-11 qui équipe la plupart des unités de reconnaissance en 1940. Le Potez 63 est construit à 1 200 exemplaires en 14 versions, à la cadence optimale de 60 avions par mois. L'effectif atteint 3 600 personnes. En même temps, Louis Coroller, second de Potez, crée le Potez 670/671 à ailes elliptiques dont les prototypes sont abandonnés en 1940 suite à l’offensive allemande. L'usine de Méaulte, occupée par les Allemands, va subir 11 bombardements et stopper son activité.
Le Groupe Aérien d'Observation 511 basé à Nantes était équipé de Potez 25 et 63-11 en 1938.
Louis Coroller reste travailler pour l’État. Il est nommé, sous l’occupation, directeur technique d’INDAERO, un organisme destiné à préparer le redémarrage de l'industrie aéronautique française et soustraire des techniciens au S.T.O.
A la libération, il est Directeur Général Technique de SNCAN25, puis de Nord-Aviation où il supervise la conception du Nord-Atlas et son frère Émile le suit comme directeur du contrôle technique.
Quand Louis s’absente, c’est souvent Emile qui assure l’intérim. Durant ses dernières années de travail, il supervise aussi la construction du Nord-Atlas 262 et du Transall C 160.
Louis a aussi participé à la conception du premier programme-série d'avions à réaction : le Vampire, construit à Méaulte en 1949. Il a côtoyé presque tous les grands pionniers de l’aviation dont Jean Mermoz.
Des records :
- Pour la vitesse, Louis Coroller conçoit le Potez 53 avec lequel Georges Detre remporte la Coupe Deutsch de la Meurthe en 1933 à 322,8 km/h.
- Le Potez 506 bat le record du monde d’altitude en 1933 avec 13 661 mètres aux mains du pilote Georges Lemoine.
La retraite :
Louis Coroller, grand et brillant Ingénieur, modeste, discret et pétillant d’humour a pris sa retraite en 1969 et est décédé le 18 octobre 1988 à Paris. Il repose au cimetière de Chevreuse. Il a obtenu deux décorations : Commandeur de la Légion d’Honneur et la Médaille de l’Aéronautique. On a éprouvé de la difficulté pour retracer sa biographie, car son grand défaut, est d’avoir brûlé une grande partie de ses archives. On compte plus de 70 prototypes construits par Louis durant sa carrière. Par son génie il apporta beaucoup à tous les fabricants d'avions à travers le monde. Potez en a profité, mais aussi Dassault. Beaucoup d'avions de tourisme et de commerce ont reçu le savoir-faire de cet ingénieur.
Son frère qui, à sa retraite en 1972 se retire à Gif-sur-Yvette, où il va décéder le 14 mai 1984 et son épouse est décédée le 29 novembre 1986.
Émile fut mobilisé dans l'armée de l'air pendant la guerre 14-18 et affecté à l'escadrille La Fayette. Il est fait « grand sorcier des sioux » dont il fut le dernier survivant. Leur fils Jean-Louis raconte dans un livre, consacré à l’histoire de Potez, la vie de son père et de son oncle Louis. Leurs parents Louis Henri Coroller et Marie Amélie Legall sont enterrés dans le bas du cimetière de la Montagne (à l’angle de la rue du cimetière et de la route de Bouguenais).
L’escadrille avait un emblème d'unité collectif, une tête d'indien Séminole. Elle a été dessinée par le soldat Marie Suchet, mécanicien. Les pilotes furent baptisés les Sioux.
Un passionné :
Jean-Marie Garric, entreprend de reconstruire le Potez 60-11 pour effectuer la traversée de l'Atlantique. Lorsque Jean-Marie trouve une partie du plan aux archives de l’aviation, il est loin de se douter que la deuxième partie est chez Jean-Louis Coroller, car ce dernier n’a pas pu emmener les deux plans aux archives dans sa voiture.
Jean-Louis Coroller est décédé le 24 janvier 2012 à 81 ans, il repose à Lamorlaye dans l’Oise.
En conclusion : Il est dommage que ces personnages si importants dans l'aéronautique soient totalement ignorés dans l'histoire des communes de Saint-Jean-de-Boiseau et de La Montagne. Puisse cet article leur rendre injustice. Une rue à leur mémoire serait une juste reconnaissance.
Sources : Diverses sources Internet ADLA
Archives de Livet aux archives de Nantes série 9 M 161-264
Daniel Château et aéroscope diverses revues aéronautiques 54
Jean-Yves GROLLIER