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Mose : dessinateur humoristique

Les premiers moments de la vie

Les heures sombres de la « Grande Guerre », comme on disait alors dans nos villages, voit la jeunesse quitter le foyer familial pour défendre la patrie. La liste des victimes s'allonge de jour en jour et les usines d'armement manquent de main d'œuvre. C'est le cas pour l'arsenal d'Indret dont la production a dû s'adapter aux besoins urgents de l'armée. Les machines du cuirassé « La Gascogne », en cours de construction, sont stoppées (le navire ne sera jamais terminé) et ordre est donné par l'état de fabriquer des obus de 75, des affûts de 155 et autres munitions diverses. Malgré les départs au front des jeunes ouvriers, l'effectif passe de 1200 à 3000 personnes en 1918.

Ce renfort est constitué de jeunes indochinois hébergés dans des camps situés à la Cruaudière et aux carrières de Boiseau, de femmes des environs et de réservistes venus de toute la France dont les professions se rapportent à la métallurgie.
C'est ainsi qu'un certain Eugène Jean-Baptiste Depond vint travailler à l'établissement de la marine nationale début janvier 1917. Il était domicilié à Tours dans l'Indre et Loire, depuis 1910, où il exerçait la profession de réparateur de vélos et autres petits boulots. Originaire de l'Indre, il avait effectué un « tour de France de compagnon » comme maréchal-ferrant et débuté dans cette profession dans le village de Frédille. A son arrivée à l'arsenal, il fut enregistré et devint un numéro matricule. On l'affecta à l'atelier d'ajustage pour la fabrication des affûts. Au bout de quelques jours, le temps de trouver un logement, il fit venir son épouse, née Adelphine Augustine Janin âgée de 35 ans, et leurs trois jeunes enfants.
Les Depond habitaient alors une petite maison située dans le quartier de la place de la République à Boiseau.

Les retrouvailles furent célébrées comme il se doit ! Neuf mois plus tard, Eugène se rendit à la mairie de Saint-Jean-de-Boiseau (à 11 heures du matin) pour y déclarer la naissance de son fils Moïse Auguste né à 6 heures le 9 octobre 1917. Il est accompagné dans cette tâche par deux amis, mobilisés comme lui à Indret, Victor Lamberger et Julien Mayer. Fait rare pour l'époque, ces témoins ne savent signer leur nom. C'est ainsi que notre personnage sera enregistré par l'adjoint du maire M. Morice sur les registres d'état civil.

De cette prime enfance, il n'a qu'un an, Moïse n'a gardé aucun souvenir car une fois la terrible guerre terminée son père retourne en Touraine à la fin de l'année 1918. Les seules choses dont il se rappelle c'est d'avoir entendu ses parents et sa sœur aînée, qui vît à St­ Gilles-Croix-de-Vie, raconter les voyages maritimes forts agréables sur la Loire par le bac et l'abeille.

Sa jeunesse se passe à Loches et ses études au lycée Descartes de Tours où il obtient son bac de Philosophie en 1936.
De cette époque scolaire il garde le souvenir ému d'une amitié aujourd'hui rompue par le destin. « La première personne célèbre que j'ai rencontrée, ne l'était pas encore. C'était au lycée Descartes. Cette personne était un garçon de 14 ans, à peu près, qui avait un nez rond dans un visage rond, des cheveux blonds et plats et un des seuls élèves de cet âge à porter encore des culottes courtes avec des chaussettes de laine épaisse à revers, bien tirées jusqu'au genou. Son professeur de français, en troisième A, si je ne me trompe, était Monsieur Cavalier. Chaque fois qu'en cours, il y avait du Molière, du Racine, du Victor Hugo au menu, des vers ou de la prose, il offrait son estrade à Jean ... et ce garçon interprétait, récitait, déclamait s'il y avait à déclamer, s'enflammait si le texte l'exigeait. Moi, j'étais un peu plus vieux de deux ou trois ans ... et je retrouvais Jean, hors classe, dans un petit groupe, qui, par les bons soins et l'argent d'une jeune femme appelée non pas Egérie mais Marthe Romain, publiait très régulièrement, un opuscule poétique de deux modestes feuillets, intitulé « L'Arc.. » C'était alors de notre âge et de l'époque, de « faux-monnayeur » mallarmisant ... Mais hormis ces occupations littéraires nous avions Jean, moi et les autres un point commun : notre professeur de Mathématiques, Monsieur Cagneux ... qu'on surnommait Fitch et que nous chahutions à longueur de cours. (Il faisait des calembours pas très fameux). Il faut dire que déjà, Jean travaillait au « rideau de Tours » une petite compagnie de théâtre amateur dirigée par le comédien et metteur en scène Jean Jacques Delbo. »

Cet ami d'enfance s'appelait Jean Cannet. Ils se rencontreront souvent bien des années plus tard devant un bon Bourgueil pour évoquer ces années de jeunesse et le pauvre Monsieur Pitch.
Parallèlement à ses études Moïse s'était inscrit aux cours du soir à l'école des Beaux-arts pour s'y perfectionner en dessin.
En 1938 il exerce le métier d'enseignant intérimaire dans une école publique à Loches. Il est donc instituteur quand la deuxième guerre mondiale s'empare de lui. Il est mobilisé en 1939 en tant que sursitaire au peloton d'élèves officier de réserve (EOR). Il n'aura pas à combattre car la capitulation de la France, gouvernée par le maréchal Pétain, lui rend sa liberté l'année suivante. Démobilisé en 1941 il retrouve son métier d'instituteur à Neuilly le Bignon puis à Sainte-Hippolyte en Indre et Loire. Réfractaire au S.T.O en avril 1943, il choisit la voie de l'honneur en rejoignant la résistance dans le maquis de Genillé en mai 1944. Son unité sera intégrée au 32ème Régiment d'Infanterie du Loir-et-Cher, 1ère section dirigée par le colonel Constantini. Il y obtient le grade de lieutenant. Le hasard veut que ce régiment le ramène dans son département natal, dans le secteur entre Saint-Etienne-de-Montluc et Cordemais, au P.C. situé à la Haie-Maheas. Son unité se trouve sur la ligne de feu pour la reprise de la poche de Saint-Nazaire occupée par les Allemands. Dans son recueil de nouvelles il relate un épisode autobiographique « Sentimentalo­Ubuesque » qu'il vécut pendant cette époque héroïque. 

Le 8 mai 1945 c'est la fin de la guerre en France. La signature de l'acte de reddition de l'occupant dans la Poche aura lieu, dans une cour de ferme à Cordemais, à 10 heures, au lieu-dit « Les Sables », sur le territoire de sa section. Cet acte historique se déroule en présence d'un petit nombre de soldats, 2 officiers allemands, le major Adalbert Engelken et le hauptmann Mueller, 3 américains, le colonel John W.Keating, major Général Kramer, le major Parr et pour la France le signataire est le capitaine Delpech représentant le général Chomel, le lieutenant Sueur du 32 RI est accompagné de quelques officiers dont le lieutenant Moïse Depond et F. Vilminot.
L'heure est à la joie et au retour à la vie civile. Moïse décide de ne pas reprendre son métier d'instituteur qu'il a exercé pendant cinq ans, et choisit une autre voie, celle de la littérature. Ecrivain, poète, peu importe pourvu qu'il puisse écrire. Il quitte donc sa région tourangelle pour Paris afin d'avoir plus de chance de trouver un emploi en rapport avec son aspiration et rencontrer des gens de ce milieu. Contrairement à beaucoup de provinciaux, "montés » dans la capitale, il trouve rapidement un emploi chez l'éditeur Vuibert. Le hasard le fait habiter Saint-Germain-des-Prés. C'est l'époque de l'insouciance de la jeunesse dans ce quartier à la mode.
Parmi ses rencontres d'alors il évoque celle avec Boris Vian.
« Juste après la guerre, on pouvait facilement rencontrer Boris Vian dans les rues de Saint-Germain-des-Prés ... Nous nous connaissions un peu, à force de nous croiser dans la rue Saint-Benoît et ses alentours. Il arrivait même que nous nous serrions la main. Et quand notre besoin de communication était trop dévorant, nous disions : « Ça va ? Ça va ? ... ». Et nous allions à nos affaires qui étaient bien rarement des affaires.
Un après-midi d'un certain jour, en 47, 48 peut-être, une jeune femme que je connaissais me demanda de figurer dans le film qu'un copain commençait à tourner dans le coin. Ce film était la première œuvre d'un certain Alexandre Astruc.... Je fus aimablement remercié de mon amicale coopération et avisé que j'avais à figurer un des trois juges de l'enfer. (Cela se passait au théâtre du vieux Colombier). Les deux autres juges étaient déjà en place ... Je les rejoignis et me retrouvai ainsi siégeant au côté de Boris Vian. L'autre juge je le connaissais aussi, c'était Jean-Paul Faure (l'adjoint de Georges Cravenne grand homme du spectacle et de la télévision).
Moteur. Claquoir. Nos dos adhèrent étroitement à nos dossiers. Plan de deux secondes, doublés pour la sûreté. Fini.
Après cet encourageant début, j'ai eu l'occasion de tenir quelques rôles au cinéma et à la télé, mais jamais de cette importance.
 ».

Le hasard va croiser sa route. Il rencontre, un jour pas comme les autres, un ancien camarade d'école, Paul Tillard, devenu journaliste qui le fait travailler épisodiquement dans son journal « REGARD » un supplément de « l'HUMA », comme dessinateur humoriste. Après tout pourquoi pas et le voilà en route vers son destin.
Ses premiers dessins publiés plaisent aux lecteurs du journal, Moïse Depond adopte le pseudonyme MOSE par défi : (Moïse en langue germanique). En janvier 1946, il crée son style de dessin d'humour et quitte l'édition. Sa notoriété dépasse rapidement l'hexagone et ses dessins sont alors publiés dans les journaux du monde entier. Son humour est caustique. Outre les dessins humoristiques de presse, il travaille pour les affiches de publicité, les illustrations d'ouvrages d'écrivains célèbres comme Swift, Mark Twain, Alphonse Allais, il crée des dessins pour des tissus, des cartes postales et de la porcelaine (avec Raymond Olivier).
Pendant l'été 1947, il rencontre André François et Ivan Le Louarn qui deviendra « Chaval » après un an de séjour en sanatorium à Font-Romeu où il adopte son style. Ensemble ils publient, en 1952, un album de dessins remplis d'humour et de gags dû à leur observation du quotidien. Manigances, tel est son titre trouvé par le grand poète Jacques Prévert, connaît un très grand succès.
Il rencontre alors les personnalités littéraires en vogue dans la capitale, comme le poète Jean Genêt Jean-Paul Sartre et sa compagne Simone de Beauvoir. Il est alors mêlé à la vie et à la faune du cinéma, du journalisme et de la littérature de Saint Germain. Il fréquente les lieux mythiques que sont devenus le café de Flore, le bar « Montana » et le cabaret de la « Rose Rouge » dont il fait les affiches et y retrouve ses amis Yves Robert et les Frères Jacques.

Le 20 novembre 1951, il se marie avec une jeune femme d'origine espagnole, Charlotte-Germaine Suarez de Mendoza dans la mairie de Paris du 20e arrondissement. Cette union sera couronnée par la naissance d'un enfant. Il vit alors à un rythme d'enfer sur des ouvrages multiples pour les grandes maisons d'éditions comme Albin Michel, EMAP et d'autres qui fabriquent les albums à partir des cinq milles dessins parus dans la presse quotidienne ou hebdomadaire « Mosaïque, Echantillons etc.. ».
Il dessine sur commande sur les thèmes les plus divers, chaque fois avec autant de drôlerie burlesque. Il cherche à montrer le monde sous un jour ironique et rieur sans chercher l'aspect moraliste ou philosophique. Il se veut différent et cocasse dans ce monde bizarre de tous les jours. C'est ce qui plaît aux lecteurs.
Voyageur infatigable, son métier lui fait parcourir le monde entier. Le Brésil, les Etats­ Unis, le Sénégal, le Maroc mais aussi l'Asie et plus particulièrement le Japon où il est reçu et honoré depuis 1988 une ou deux fois par an, comme professeur à l'université de SEIKA de Kyoto.

Un jour qu'il se trouvait à Paris avec des amis peintres, la conversation vint à porter sur leur village natal. Mose parla du sien qu'il ne connaissait qu'à travers les récits de ses parents. Un tout petit village, en bord de Loire, près de Nantes, vraiment un village « paumé ». La femme du peintre BUS qui se trouvait parmi eux lui répondit : « Moi aussi je suis originaire d'un petit village près de Nantes. »
Et comment s'appelle-t-il ?
Ah, tu ne le connais sûrement pas ! C'est Boiseau.
Stupéfaction dans l'assistance quand Mose entendit prononcer ce nom et avoua qu'il était originaire du même lieu.

En 1962, las de la vie trépidante de la capitale, il abandonne la presse et il se retire avec sa famille dans un petit village de campagne du Haut-Poitou, à Lésigny, pour y accomplir ses années de sage, comme il dit. La vie calme et le repos ne sont pourtant pas dans sa nature. Mose ne s'imagine pas en retraite. Il touche à toutes les formes d'art et en particulier la peinture, l'aquarelle et le dessin-photo. Il expose régulièrement au Japon où il donne des conférences : (Il y est allé quinze fois). On est rarement prophète en son pays dit le proverbe et c'est bien le cas pour Mose dont la peinture est méconnue en France car elle ne s'inscrit pas dans le style de nos galeries.

Il reste cependant très connu pour ses dessins humoristiques et il fait partie des humoristes associés : H A. Il donne des dessins pour des œuvres collectives : " Les sept péchés capitaux " et " l'âme du vin ", dont il est un fin connaisseur : Touraine oblige.
Un après-midi de 1967, il reçoit la visite, à son domicile, de Pablo Neruda, le grand poète chilien qui se trouvait en voyage d'affaires dans la région de Poitiers. Une rencontre agréable, agrémentée de fromage et de café devant la cheminée, qui vaudra à son fils Marc (alors âgé de 14 ans) de passer pour un menteur quand son instituteur demandera :
Qui connaît Neruda ?
Moi, dit-il timidement ... il est venu manger du fromage de chèvre à la maison dimanche dernier.
La classe et le prof ne crurent pas à cette visite.

Mose a été récompensé par le prix de l'humour noir en 1972 et le prix de l'humour blanc en 1986.
Il est aussi l'auteur de cinquante-quatre court métrages d'animation « Roméo » pour la télévision passés à l'écran en 1969. Un film vient d'être réalisé sur sa vie et son œuvre « Mose, parlez-nous d'humour ».
A 82 ans, son front dégarni, ses yeux malicieux et sévères à la fois, sa courte barbe et son pantalon tenu par des bretelles élastiques sur sa chemise à col ouvert, lui donne une allure de bon vivant : (ce que je crois il a toujours été). Malgré son âge, il a conservé une excellente mémoire. Il est décédé le 21 janvier 2003 à Lesigny.

Jean-Luc Ricordeau

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