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Souvenirs du poète René Guy Cadou au village de la Télindière

Celui qui entre par hasard dans la demeure du poète
Hélène et René Guy Cadou


Ne sait pas que les meubles ont pouvoir sur lui
Que chaque nœud du bois renferme davantage
De cris d’oiseaux que tout le cœur de la forêt
Il suffit qu’une lampe pause son cou de femme
A la tombée du soir contre un angle verni
Pour délivrer soudain mille peuples d’abeilles
Et l’odeur de pain frais des cerisiers fleuris
Car tel est le bonheur de cette solitude
Qu’une caresse toute plate de la main
Redonne à ces grands meubles noirs et taciturnes
La légèreté d’un arbre dans le matin.
Ce poème, l’un des plus connus de René Guy Cadou, est inscrit aujourd’hui sur les murs de sa dernière maison, l’Ecole de Louisfert où il était instituteur et où il est mort le 20 mars 1951. Ce lieu est devenu « Demeure de René Guy Cadou », lieu qu'Hélène, son épouse, poète elle-aussi, continuera à faire vivre jusqu'à sa mort en 2014.
Le poète est né le 15 février 1920 à Sainte-Reine-de-Bretagne.
Moineaux de l’an 1920
La route en hiver était belle
Et vivre je le désirais
Comme un enfant qui veut danser
Sur l’étang au miroir trop mince
L’enfant René (né après la mort d’un frère nommé Guy) suivra ses parents dans leurs affectations d’instituteurs. Après la Brière, c’est Saint-Nazaire, puis Nantes en 1930. A Nantes il fait la rencontre de Michel Manoll, libraire place Bretagne, qui le conforte dans sa poésie naissante et le met en contact avec les grands poètes de son temps, dont la principale figure sera sans doute pour lui Max Jacob (artiste inclassable qui fut proche de Picasso à un certain moment) ; Max Jacob, d’origine juive, est arrêté par la Gestapo en 1944 et meurt à Drancy.
C’est à Rochefort-sur-Loire que beaucoup de poètes vont se retrouver durant la guerre. Ainsi naîtra « l’Ecole de Rochefort ». Si Cadou y est cofondateur avec Jean Bouhier et Michel Manoll, il est toutefois la figure la plus représentative de cette Ecole qu’il appelait volontiers lui-même « Cours de récréation ».
Les lieux d'enfance et de jeunesse de Cadou s'égrènent tout le long de la côte de Jade, de Bourgneuf à Saint-Brévin en passant par Pornic, la Plaine-sur-Mer et Saint-Michel-Chef-Chef. C'est en ce lieu qu'il écrit son premier recueil « Brancardiers de l'aube », début d'une importante œuvre littéraire : plus de trente recueils de poésie, des articles, un roman, un récit de souvenirs d'enfance « Mon enfance est à tout le monde ». C'est en suivant ce dernier ouvrage que l'on peut retrouver les traces du poète à Saint-Jean-de-Boiseau. Mais pour cela il est nécessaire de descendre dans ses racines familiales.
René et Hélène sont enterrés tous deux au Cimetière de la Bouteillerie à Nantes, dans la même tombe que les parents du Poète. La simple lecture de la plaque funéraire nous livre beaucoup d'informations.
Le jeune René perd sa mère alors qu'il a 12 ans, puis son père alors qu'il en a 20.
Ces souffrances, ajoutées à celle de porter le nom d'un frère aîné décédé, marqueront profondément son existence. Par la poésie il ouvrira une porte sur un universel salutaire.
A pauvre père ! Auras-tu jamais deviné quel amour tu as mis en moi
Et combien j'aime à travers toi toutes les choses de la terre ?
Quel étonnement serait le tien si tu pouvais me voir maintenant
A genoux dans le lit boueux de la journée
Raclant le sol de mes deux mains
Comme les chercheurs de beauté !
Sa famille maternelle est originaire du Nord-Loire (Cordemais, Saint-Mars-la-Jaille, Saint-Nazaire...). C'est au Sud que sa famille paternelle est la plus présente (Château-Thébaud, Rezé...), une famille d'instituteurs.
Les grands-parents paternels de René sont à l'Ecole du Bignon. Son grand-père Georges Cadou y meurt le 15 décembre 1905. Son instituteur adjoint est Henri Viaud, né à Saint-Jean-de-Boiseau le 11 mars 1867. Le 23 avril 1908, alors qu'il est instituteur à la Plaine-sur-Mer, Henri Viaud épouse Marie-Reine Barel, veuve Cadou. Marie Cadou, tante du poète, racontait que Georges Cadou suggérait à son adjoint du Bignon de se marier... celui-ci lui répondit qu'il le ferait lorsqu'il trouverait une femme comme la sienne.
René Guy Cadou a donné une place importante à Marie-Reine dans son récit d'enfance.
J'aimais m'introduire en fraude dans cette chambre, quand je savais grand-mère seule, aux premières heures de la matinée. Elle commençait de se coiffer, sa longue chevelure grise tombant le long de ses épaules sur un caraco à fleurs : elle me laissait palper ses peignes d'écaille, ses bouts de rubans, ses longues épingles à tête de perle qu'elle piquait soigneusement dans sa résille ou dans sa coiffe.
Grand-mère avait l'air d'une reine, dont elle portait d'ailleurs le nom accolé à celui de la Vierge, visage souligné par de grands yeux clairs étonnamment rieurs et malicieux au-dessus d'un fort nez à la Bourbon. Elle semblait à l'aise partout.
Le remariage de Marie-Reine est évoqué également dans les souvenirs du poète :
Grand-mère Cadou devint veuve très tôt. Grand-Père était instituteur et secrétaire de mairie dans un petit village du sud de la Loire ; il fut emporté d'une congestion pulmonaire à quarante-cinq ans ; cela demanda huit jours et il laissait six enfants ; mon père venait tout juste d'être nommé avec lui. Au bout de deux ans, grand-Mère se remaria avec grand-Père Viaud, brave homme d'instituteur lui aussi, et qui ressemblait d'une étrange façon au poète Mallarmé. Grand-Père adoptif, sa retraite gagnée, se retira avec sa femme dans une maison qu'il avait héritée du tisserand son père du côté du Pellerin, au bord de l'eau. Je me souviens du jardin tout plein de camélias et de groseilliers, du tas de sable avec une petite pelle et coquetier en buis.
La maison du « tisserand son père » est située au village de la Télindière (aujourd'hui 21 rue Abbé Henri Garnier). Le père d'Henri Viaud, Henri Jean Baptiste Viaud, né le 6 octobre 1825 est chaudronnier au moment de son mariage avec Marie-Anne Prout en 1867 ; il est néanmoins recensé en 1876 comme tisserand à la Télindière.
Marie-Reine Barel, veuve Cadou, et Henri Viaud vécurent à la Plaine-sur-Mer. Ils y sont recensés en 1911 et 1921. Ils vécurent ensuite à la Télindière, mais Marie-Reine meurt en 1929 alors qu'elle était à Saint-Nazaire chez ses enfants, les parents du poète. Celui-ci raconte : Je ne sais pas comprendre la mort. Derrière les paupières baissées, je sais encore les yeux bleus de grand-mère tels qu'ils me souriaient à travers toutes ces histoires du passé. Derrière l'odeur de suif qui brûle, il y a toujours celle de la lavande et des cartes parfumées qui étaient la coquetterie de grand-mère (...) Non ! grand-mère ne pouvait être morte, et ce que tout le monde, ici, prenait pour un sommeil définitif n'était rien que ce difficile passage dans l'éternité, après quoi l'âme se retrouverait d'elle-même dans le coeur de ceux qui l'avaient tant chérie.
Cadou poursuit son récit en évoquant encore la Télindière, sans nommer le village. A mesure que l'on avance en âge, il semble que tout ce qui faisait les merveilles de l'enfance s'effrite un peu plus. Rien ne subsiste en moi des calmes rêveries sur le seuil usé de Sainte-Reine. Je suis malade de chevaux. Et cela à dix ans parmi des jeux qui ne sont plus ou ne sont pas encore de saison. Depuis près de trois ans que nous habitons cette grande demeure, le courant d'air ne se renouvelle pas assez vite. Il y a bien de temps en temps les vacances, les petites plages désertes, et là-bas, au bord de la Loire, le chantier du cousin de grand-père où l'on radoube les chalands. La coque de l'enfance sent le bois neuf et le coaltar, mais c'est en vain qu'on rafistole le beau navire, il ne saura plus naviguer.
Le « chantier du cousin de grand-père » est le Chantier Minée. La généalogie nous permet en effet de vérifier qu'Henri Viaud et Jean-Baptiste Minée (né en 1856) ont les mêmes grands-parents : Louis Viaud et Anne Durand.
Henri Viaud est recensé à Saint-Jean-de-Boiseau en 1931 et en 1936. En 1934, le 31 juillet, il est témoin du remariage du père du poète. Veuf depuis 1932, Georges Cadou se remarie, en effet, avec Joséphine Savary qui possède une maison à Saint-Michel-Chef-Chef. C'est en ce lieu que René Guy Cadou écrira son premier recueil « Brancardiers de l'aube »
« Oh ! ces grands escaliers
Qui descendent jusqu'à la mer
Voici la plage où l'on efface les pas compromettants
La grotte où j'ai brûlé des cierges
Pour avoir trouvé là, les fossiles de l'amour »
C'est aussi à Saint-Michel-Chef-Chef, qu'Henri Viaud meurt, sept ans après Marie-Reine, à l'âge de 69 ans, le 11 septembre 1936. Tous deux sont enterrés au cimetière de Saint-Jean-de-Boiseau, non loin du Monument aux morts.
Cadou écrit, alors qu'il est instituteur à Louisfert, auprès d'Hélène, un recueil de réflexions sur la poésie.
On y lit :
« Il y a dans le parler du paysan une poésie indéniable – je ne dis pas une source de poésie. Sa parole est un aboutissement. Ainsi le verbe abolir, odieux dans ce vers de Mallarmé « Aboli bibelot d'inanité sonore », prend une force et un charme proprement poétique dans ces expressions entendues cent fois dans ce hameau de Basse-Loire : « On a aboli le moulin des Grées » « Il s'est aboli doucement dans la nuit du vingt-sept », etc. »
Le hameau de Basse-Loire est évidemment la Télindière et le moulin est très vraisemblablement celui de la Roche-de-Gré (ou bien peut-être du Moulin Bouillard construit sur une pièce de terre appelée la « la Pierre de Gray » ? Tous deux ont cessé leur activité au début du XX ème siècle.
La poésie de l'Ecole de Rochefort, et donc celle de Cadou, s'est construite à l'époque du Surréalisme mais elle s'en démarque. Elle revendique un ancrage fort dans les réalités du monde. Si Saint-Jean-de-Boiseau et la Télindière ne sont jamais nommés dans les écrits du poète, ils font néanmoins partie de sa vie et de son œuvre.
Mille tendresse à vous tous
Que je ne connaîtrai jamais !
Et je peux bien mourir en douce
Nul de vous n'en aura regret
Je suis debout dans mon jardin à des kilomètres de la Capitale
Je retrouve contre la joue du soir l'inclinaison natale
Les oiseaux parlent dans la haie
Un train sans voyageurs passe dans la forêt
Et ma femme a cueilli les premières ficaires
Quelques-uns de ceux que j'aime sont assis dans des cafés littéraires
Je ne les envie pas ni les méprise pour autant
Mon chien s'ennuie et c'est peut-être le printemps
Et tout à l'heure je vais jaillir du sol comme une tulipe
Vous achevez vos palabres aux Deux-Magots ou bien au Lipp
Je monte dans ma chambre et prépare les feux
J'appareille tout seul vers la Face rayonnante de Dieu

Jean-Marc Talonneau

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