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Une famille de résistants : les Belthé

Jacques Belthé est né à Paris 6ème le 23 octobre 1923. Il est l’aîné d’une famille
Jacques Belthé

de trois enfants, deux garçons et une fille. Michel, son frère est plus jeune de trois ans et sa sœur Christiane est la petite dernière. Elle suit des études à l’EPS Aristide Briand de Nantes et est la marraine de guerre du copain de son frère, Maurice Loirant. Jacques a aussi un demi-frère, René Mocquard, un peu plus âgé, car sa mère, Cécile, veuve s’est remariée à Antoine Belthé. Après un séjour parisien Antoine trouve un emploi à Indret et la famille s’installe à la Cruaudière. Jacques est un garçon très casse-cou, un peu "grande gueule ", plus porté sur la chasse, la pêche et les copains que sur les études…. Sa correspondance avec sa famille semble montrer un certain complexe d’infériorité vis à vis de son père, ses frères et sa sœur, dont les situations lui paraissent meilleures que la sienne dans le civil. Pour cela, il cherchera à compenser ce qu’il considère comme une lacune par des coups d’éclats militaires. C’est principalement lui qui fait l’objet de cet article.

Une famille de résistants :
Lorsque la guerre se déclare, que l’occupant envahit la France en 1940, une petite partie de la population n’accepte pas les mesures collaborationnistes du Maréchal Pétain. La famille Belthé en est un parfait exemple. Elle est patriote et s’investira dans la lutte contre l’ennemi. Antoine, le père, sera sous-lieutenant des Forces Françaises de l’Intérieur et, dès la libération de la Loire-Inférieure en août 1944, (sauf la poche de Saint-Nazaire), il contactera les jeunes résistants pour leur faire intégrer l’armée régulière. Sa femme, Cécile, fabriquera en cachette, à la maison, des drapeaux et des brassards pour les FFI du secteur. Cela durera plusieurs mois, jusqu’au jour où… en août 1944, les alliés approchant de Nantes, les officiers allemands logés au manoir de la Cruaudière prennent peur. Craignant d’être dénoncés par la résistance et bombardé à leur tour, ils décident d’échanger leur logement avec ceux, plus modestes mais moins risqués, des familles Belthé et Develon. Sans prévenir, ils s’approchent de l’habitation alors que Cécile confectionne les fameux drapeaux sur sa machine à coudre. Panique, ils ne sont qu’à peine à 500 mètres. Aussitôt, avec sa fille et Michel le fils, ils jettent la machine dans le puits et récupèrent tous les bouts de tissus qui suivent la même destination. Lorsque le premier soldat arrive, Christiane, âgée de 13, ans jette le dernier colis et trois grenades. Un Allemand s’approche d’elle et lui dit naïvement en souriant : alors mademoiselle s’amuse à jeter des pierres dans le puits… pas beau jeter des cailloux dans le puits ? … Ce qu’il prit pour des cailloux étaient en fait les grenades ! Puis il rejoignit ces compatriotes qui ne trouveront rien dans la maison qu’ils occuperont environ trois semaines. Très inquiets, les Belthé, baluchons sur le dos, iront passer ces jours de stress au manoir de la Cruaudière, en espérant qu’aucun des occupants ne viennent regarder dans le puits. Cécile précise : j’ai dû camper au château avec Christiane, mon mari couchait dans l’écurie et Michel était à Rouans.
Comme nous le verrons en fin d’article, bien d’autres actions seront accomplies par le couple aux risques et périls de toute la famille. Jacques est donc prédisposé pour s’investir dans la lutte contre l’ennemi.
La jeunesse de Jacques à Saint-Jean-de-Boiseau entre 1939 et 1943 :
Lorsque la guerre éclate en août 1939, Jacques travaille comme ouvrier mouleur à Indret. Son père est dans la maîtrise de l’arsenal : il est chef. Dans la famille on suit les évènements de près. En 1939 début 40, le départ des jeunes ouvriers pour le front provoque un manque de main-d’œuvre dans l’usine qui s’est reconvertie dans la production de canons et d’obus. Pour la remplacer, on fait venir de nos colonies, des Algériens et surtout des Indochinois qu’il va falloir loger. Pour satisfaire cet apport d’ouvriers asiatiques, on va construire deux camps distincts car les Saïgonais et les Annamites sont en conflit depuis plusieurs années. L’un se trouve à la Briandière et l’autre à la Cruaudière. Ce dernier camp s’élève sur des terrains réquisitionnés appartenant aux familles Belthé et aux Develon, proches de leurs habitations. Cette main-d’œuvre, M.O.I est composée de jeunes étrangers souvent mal nourris, qui vont chercher à entrer en communication avec les garçons et filles du voisinage. Jacques, avec son copain Jean Guibreteau seront les premiers à nouer des relations amicales avec plusieurs d’entre eux, surtout ceux parlant le français. Après leur départ fin 1941, Jacques continuera à correspondre avec l’un d’eux, Pho, marié à une Française et travaillant dans la région parisienne.
Lorsque les Allemands sont arrivés le 11 août à Saint-Jean-de-Boiseau, tout s’est passé dans le calme au début puis les réquisitions et restrictions commencèrent. Le point le plus difficile à accepter pour les jeunes de l’âge de Jacques, c’est l’accord signé par Pétain en 1943. Il autorise l’occupant à prélever dans la jeunesse, de la main-d’œuvre pour l’envoyer en Allemagne, pour remplacer les soldats français prisonniers de guerre et travaillant à produire de l’armement dans les usines du Reich. Début 1944, les Allemands procèdent au recensement des jeunes. A Indret, ils s’adressent au service du personnel et cochent sur les listings, les noms des futurs STO (Service du travail obligatoire). Ceux-ci doivent préalablement, se rendre à Sainte-Pazanne pour passer un conseil de révision devant le commissariat général de la main-d’œuvre. Jacques et quatre de ses copains d’Indret : Jean Guillerme, Pierre Orieux, Maurice Loirant et Lucien Léthinier, décident de ne pas se présenter au travail à partir du 25 février (Pierre Orieux dès le 8 février) car ils sont recherchés par la gestapo pour ne pas s’être présentés au conseil de révision. Le rassemblement des STO était effectué rue Lekain à Nantes Ils seront radiés des effectifs d’Indret le 23 mars pour absence illégale : je suis parti dans la résistance, le 3 mai 1943, pour ne pas partir travailler pour nos ennemis. Frédérique Payen, officier à Indret, venait d’organiser, à la demande du pharmacien de Basse-Indre un nommé Ligonday, un réseau au Sud-Loire sur le secteur de la Montagne qui s’appelait Libé-Nord. Fred Payen prit le nom de code de Fred Pernet. Après le groupe a été scindé en deux, un au Nord et l’autre au Sud-Loire. C’est Jean Guibreteau de Saint-Jean-de-Boiseau qui sollicite Jacques pour rejoindre le groupe Payen : avant, il y avait quelques actions par-ci par-là, mais rien d’organisé. J’avais 19 ans, j’ai rempli un papier qu’on a coupé en deux parties. Fred Pernet en a gardé une moitié et moi l’autre. J’ai pris le pseudonyme de Jacques Bonhomme.
Pendant 3 jours, du 19 au 21 septembre, avec d’autres personnes d’Indret, il participe au déblaiement de la ville de Nantes qui a été bombardée : les missions qui me furent confiées ensuite consistaient à coller des papillons à Basse-Indre et la Montagne contre le départ en Allemagne. Je distribuais aussi la presse clandestine que je recevais de René Vinet et Eugène Guiné, ainsi que le camouflage des armes et des munitions provenant des parachutages au camp d’aviation de Château-Bougon. Cet arsenal était ensuite caché chez René Vinet et Nédélec. Ces journaux s’appelaient : Flamme, Résistance, Franc-Tireur et des tracts étaient lancés par la RAF (Royal Air Force). Nous nous réunissions en cachette chez Fred Payen, par petits groupes de 5, jamais plus, et nous ne connaissions pas les autres membres du réseau. Le petit groupe fait aussi du repérage des postes allemands, avec indication de leur importance ainsi qu’un relevé des lignes télé-phoniques en vue de sabotage.
Engagé dans l’armée régulière de De Gaulle en 1944 :
Le 1er mars 1944, après s’être caché, Jacques s’engage avec ses amis Pierre Orieux, Maurice Loirant, Jean Guillerme et Lucien Léthinier, tous du réseau Libé-nord, à rejoindre le maquis de La Haute-Vienne. Sans avertir Fred Payen et ses parents, il dit « monter » à Paris voir de la famille. Il s’habille en ouvrier, caisse à outils en mains, pour éviter d’être arrêté. Ses copains le rejoignent dans la même tenue et ils prennent le train pour la Corrèze. A son arrivée, le 2 mars, Jacques est envoyé dans le Lot, à Laval-sur-Cère, où il se fait inscrire sous son pseudonyme de Jacques Bonhomme. Il est placé sous les ordres du colonel Georges. On lui fournit la tenue de maquisard en remplacement de son bleu de travail. Un échange régulier de courrier avec sa famille et ses copains, dont Jean Guibreteau, ancien résistant lui aussi, va alors permettre de suivre non seulement son périple mais aussi ses jugements sur les évènements en cours dans le pays. En parallèle de cette correspondance, il va tenir un petit carnet où il consigne. Jean Guibreteau sera un proche de Jacques, et résistant sous les ordres de Fred Payen sous le pseudonyme de "Galurin" tout ce qui lui arrive presque au jour le jour. J’ai tenu à coller au plus près de ses expressions pour rester fidèle à sa mémoire.
Mars 1944
- Le 2 mars il arrive au maquis de la Chabane et le 4 il reçoit sa première arme, un pistolet à barillet 6 coups.
- Le 5, après un parachutage, le groupe reçoit en renfort 8 mitraillettes, 1 fusil-mitrailleur (FM) et 4 colts à barillet. Le lendemain, il hérite d’une des mitraillettes et de 200 cartouches.
- Après quelques rudiments de formation, il a hâte de rencontrer l’ennemi. Le 20, c’est le départ pour La Barbâtre.
- Le 22, il est au maquis de Villefo-niex : Grand-Goutaillou en Corrèze. Le lendemain le groupe se cache sur les hauteurs où il amé-nage une vieille maison pour servir de camp et creuse des sapes.
Avril 1944
- Du 1er au 15, c’est l’épuration de la Corrèze. Le 13, son groupe est en alerte et se cache dans une sapinière. Ils sont 28 hommes armés : on entend les boches commander le feu sur un réfractaire au STO. On les voit à la jumelle.
- Le 28, le groupe quitte sa planque et c’est en voiture que les maquisards rejoignent Chameyrat, où ils arrivent à 5 h du matin. Le soir-même ils se rendent à pied à Balazinges, une balade de 30 kilomètres en montagne avec 30 kg sur le dos. Fourbu je m’endors au pied d’un sapin.
Durant près de 3 mois, il laisse sa famille sans nouvelles. Sa mère finit par avoir son adresse grâce à son copain Orieux qui, blessé, est en convalescence. Dès le 2 mai, alors qu’elle réside à Orléans dans sa famille, elle s’inquiète et lui adresse un premier courrier clandestin.
Dans sa première lettre, datée du 23 mai, Jacques répond enfin mais ne donne que des généralités pour rassurer ses parents. Il en profite pour souhaiter également le bonjour à la patronne du café Moderne à la Montagne. (Il en était un bon client).
Mai 1944
- Le 8, après quelques jours à se cacher : je suis blessé : le cul en fleur et ne peut continuer la route. Je me couche dans une grange sur le timon d’une charrette avec l’Africain Gayon-Bouboule et Olive. Le lendemain nous marchons toute la journée pour retrouver les gars.
- Le 10, dissolution du camp du résistant " René l’Algérien "
- Le 13, recevons parachutage d’armes.
- Le 16, départ pour Chenaillers en laissant les Russes.
- Le 17, halte dans un bois à Chaumeix.
- Jeudi 18, entré dans le Grand Maquis de Camps, puis installation dans la forêt de pins.
- Le 20, construction de cabanes et inauguration par le lieutenant. Le groupe de Nantais remporte le quart de pinard. Le lendemain défilé en armes.
Juin 1944
- Le 1er, parachutage d’armes.
- Le 3, instruction militaire.
- Le lundi 5 on est réveillés par le lieutenant qui a reçu le message annonçant le débarquement prochain. Ordre est donné de retarder, par tous les moyens, les troupes allemandes qui doivent remonter vers la Normandie.
- Mardi 6, à 7 h du matin on apprend que les Anglais ont débarqué. Le soir nous partons prendre position à Florac sur le pont de la Dordogne. Toute la nuit on travaille à saboter le pont suspendu. Le lendemain on y prend position et le jeudi 8, à 9 h, trois tractions arrivent en trombe à notre barrage où nous prenons la garde avec Lulu, Ramier et Olive. On attendait une colonne allemande ! Descend d’une des voitures le colonel Georges. Il vient nous demander des renforts pour attaquer une colonne blindée à Cressenac. Nous partons avec Lulu, Fredo, Mickey, René, Armand, Marcel boxeur et l’aviateur. Il est 6 h 1/2, ma voiture montée de Marcel et René, fonce de l’avant. On arrive à 1 kilomètre des boches. Le colonel Georges reprend un autocar que l’ennemi nous avait pris. Nous partons en patrouille à 10. Mickey, Armand, René, Marcel, un copain inconnu et moi puis les gardes-mobiles. Arrivés à 300 mètres des boches, nous ne restons que 6... plus de trace des gardes-mobiles. Nous rampons dans un pré jusqu’à la lisière de la route, puis nous traversons un champ de blé, accroupis. On atteint un petit bois. Nous y pénétrons de 20 mètres quand le colon rampe vers un blessé appelant sa mère. Je vais le ramasser avec l’aide du copain inconnu. Je le veille dans la ferme toute proche en attendant que le copain, parti avec mon fusil, revienne avec le toubib. Ne revenant pas, je rejoins le colon, Mickey, Armand, René et Marcel étant partis chercher du renfort auprès du capitaine Romain. Pendant ce temps, avisant une traction-avant abandonnée par la section mitrailleuse qui s’était repliée avant notre arrivée, le colon propose de la mettre en route pour la jeter dans les roues d’un des camions boches. Mais, jugeant la chose trop dangereuse, il se rétracte ! En attendant le renfort, on fouille dans ladite voiture et l’on trouve deux grandes corbeilles d’œufs. J’en gobe une douzaine. Le colon, voyant que le renfort n’arrive pas, va au-devant. Nous attendons, Mickey, Armand, René et moi, environ 3/4 d’heure à 3 mètres des chars ennemis. On entend les boches se remercier. Je pars avec Mickey, revolver au poing au-devant du bruit. C’est le renfort avec le lieutenant Désiré, Lucien, Frédo et d’autres copains inconnus. Quand surgit d’Aquain, l’aspirant, qui demande 3 volontaires pour patrouiller derrière la haie nous séparant de la route, à la recherche du colon. Nous partons, Lulu, boxeur et moi. On longe la haie, un boche nous voit, nous tire un coup de flingue dessus, on pique un plat ventre et on repart. Nous faisons 300 mètres, on entend du bruit, on appelle Georges qui nous répond. Lulu et boxeur vont rechercher les copains et on prend position derrière un vieux mur. On a des fusils et un lance-torpilles. On est à 50 mètres des phares d’une voiture et de deux motos allemandes. Arrivés à notre barrage, ils stoppent. Le colon ordonne le feu et la voiture repart, pas les motards qui sont tués. Nous nous replions pour faire des prisonniers, mais les boches emmènent tout, blessés, morts et matériel.
- Le 8, 7 h 1/2 du matin, demande de renforts pour Bretenoux, nous restons au pont : les voltigeurs et grenadiers. Nous passons une nuit entière de garde. Retour au camp à 6 heures du matin.
Durant ces 3 jours, lors de l’attaque d’une colonne blindée allemande, ainsi que plusieurs camions de troupe qui remontaient sur la Normandie, trois chars sont détruits, plusieurs allemands tués et 300 d’entre eux blessés sont hospitalisés à Brive. Voici son récit de ces évènements : depuis la Haute-Vienne, du Lot, du Cantal à la Dordogne nous avons fait tous ces départements. Dans le Lot quelques coups durs, comme les fameuses colonnes blindées du centre, Panzerdivision Deutche Reich, que Londres a citées. Une petite anecdote dans cette guerre, quoique nous les avons retardés de 32 heures, ce qui a permis à Messieurs les Anglais de débarquer plus facilement et de les anéantir plus haut par l’aviation. Il y avait quand même cinq divisions blindées de 300 boches que nous avons attaquées avec 13 mitrailleuses, un F.M avec 4 chargeurs et 3 fusils et 200 cartouches, quelques grenades pour 30 bonhommes. Moi j’étais à Cressensac avec mon groupe et l’autre groupe à Bretenous. Enfin, le principal c’est que les Nantais sont toujours en vie. On ne peut pas en dire autant de tous les copains. Nous avons attaqué trois divisions à 24 types dont 7 sont morts. Une autre section en a attaqué deux à 24 types aussi mais 18 sont restés sur le pavé… moins beau. Ils nous ont rendus plus fanatiques qu’eux.
- Le 10, départ pour Baranaille, en repos
Juillet 1944
- Le 14, grand parachutage à Chenailler
- Le 25, la compagnie est rassemblée devant le PC et remise de décorations.
Août 1944

- Le 5, coup de main contre l’école de gendarmerie ; prenons 80 moutons et 3 chevaux.
Le 11 août, il est à Varennes sur Allier dans le bataillon Romain 3ème compagnie, brigade de Corrèze, groupe mobile du Sud-Ouest. Il vient d’être engagé avec son groupe pour affronter les Allemands et participe à la libération de Brive et Tulle.
- Après quelques coups durs à Brive, pas de mal, nous avons rentrés comme une fleur 700 prisonniers, car nous les faisons prisonniers, eux ne peuvent pas en dire autant, franc-tireur tu comprends ! Il n’y a que les milicos, (Miliciens) pour eux pas de pitié, enfin c’est la guerre. Les miliciens sont tués ou torturés et le spécialiste du groupe dans ce domaine est Maurice Loirant. Puis dans les périodes d’accalmie, il joue au foot avec ses camarades. Quelques jours plus tard, il part avec sa compagnie pour Villeneuve-sur-Allier à 15 kilomètres au-dessus de Moulins-sur-Allier.
- Le 13, partons au Rocher Coupé à 2 kilomètres de Brive.
- Le 15, impatient, le groupe de Nantais part en patrouille sans ordre, en ville jusqu’à Tulle. Nous voyons les boches à l’autre bout du pont, on se regarde en chien de faïence, mais impossible de tirer car il y a du monde sur le pont. Midi, retour au camp, acclamé par les gens. On fait la connaissance de 3 jeunes filles, les fusils sont fleuris, mais arrivés au camp l’adjudant nous passe un savon. Vers 8 h du soir les boches se rendent. 8 h 15, nous rentrons par le pont de Tulle à Brive. Nous sommes de la section Flo et notre entrée dans la ville, en chantant la marseillaise, est acclamée. Jamais vu chose pareille ! On est les premiers maquisards à rentrer dans la ville délivrée. - Le 16, après 13 h d’occupation, des colonnes boches sont annoncées. Nous repartons prendre position au-dessus du Rocher Coupé pour défendre l’entrée de la ville. Brive est bombardée par les Allemands.
- Le 17, il a un peu de temps libre et en profite pour apporter quelques précisions. Enfin un peu de tranquillité pour vous écrire, le temps me manquait... à la guerre comme à la guerre, aujourd’hui là, demain là-bas surtout dans le maquis où la guérilla est à l’honneur... Pour moi tout va bien, une vraie vie d’aventure, des moments inoubliables. Après avoir parcouru la Corrèze en tous sens, c’est l’Allier... du pays j’en ai vu, les montagnes de Corrèze, les ravins, les torrents, pas mal ce pays, des monts rouges de bruyère, arides et dénudés, des gorges et des précipices, le vrai pays de maquis. C’est un pays que je ne regrette pas d’avoir visité. Cette vie pour moi est inoubliable, surtout celle de mars au mois de juin. Après avoir pris Brive et Tulle, nous voilà à parcourir l’Allier, Moulins, Varennes et Villeneuve sur Allier et Souvigny. Partout un accueil inouï. En repos en ce petit patelin pour démarrer vers l’Est et l’Allemagne, non comme ouvrier, mais comme occupant... J’ai appris par un Nantais réfugié à Aubazine que Nantes a été bombardée plus d’une fois depuis mon départ. Est-ce qu’il y a eu bagarre dans la région ? Le père, si j’en doute doit avoir participé à la libération de Nantes. J’aurais bien voulu être là car tu sais que je suis un vrai lion pour la bagarre. Nous sommes tous des engagés, le groupe des Nantais n’est jamais le dernier. Je suis voltigeur et chargeur au F.M. En même temps, les armes ne me manquent pas. Mes excuses pour mon écriture car cela fait bientôt 3 mois que je n’ai écrit.
- P.S Christiane (sa sœur) doit être au moins dans les premières et est une petite fille sérieuse. Michel gagne t’il toujours autant de pognon ? (Il ne sait pas encore que son frère est engagé FFI). - René Mocquard, (son demi-frère), doit être maintenant percepteur ? (Il le sera effectivement). Je vais trouver un grand garçon.
Puis des nouvelles des voisins. Le bonjour également à la famille Gilard et aux copains. Meilleurs baisers à la famille et un gros à ma petite maman qui doit "faire de l’huile" comme on dit dans le maquis.
En fait son père, Antoine, pseudonyme de résistant, Bertrand, est dans l’Etat Major des Forces Françaises de la Libération à la caserne Richemond à Nantes et suivra l’école des cadres à Cholet. Son jeune frère Michel s’est lui aussi engagé dans les FFI à 17 ans et se trouve au bureau des transmissions à Nantes et espère que Jacques ne le prendra pas pour un embusqué.
- Le 18, nouveaux bombardements sur la ville. Nous partons à 14 h de Tulle sur la route Brive-Tulle prendre position sur une hauteur. On attend une colonne de boches ayant repris Tulle et se dirigeant vers Brive.
- Le 19, il pleut toute la nuit et je suis trempé jusqu’aux os.
- Le 20, on défile à Tulle et on va en repos
- Le 22 on part en perm.
Septembre 1944
- Le 2, j’ai fait la connaissance d’une gentille petite Corrézienne à Aubazine près de Brive. Andrée est une paysanne mais pas une grosse paysanne, enfin tu connais mes goûts. Les deux jeunes gens vont tomber amoureux et continuer à correspondre.
Le 6, la compagnie va au tir à Brive.
- Le 8, départ en train pour Aurillac. Dans une halte on rencontre des gars d’In-dret, puis direction Bort-les-Orgues, Eygurande, Montluçon. Dans toutes les gares, accueil et fleurs.
- Le 10, départ à 5 h du matin à Varennes sur Allier. On campe à Montolde à 25 kilomètres de Vichy.
- Le 11, on traverse Moulins puis on va à Villeneuve-sur-Allier pour attaquer 18 000 boches, mais ils donnent leur parole de se rendre aux troupes américaines ou anglaises.
- Le 12, arrêt à Souvigny pour plusieurs jours.
- Le 14, je suis affecté au mess des sous-officiers.
- Le 15, les copains défilent à Moulins et prise d’arme.
- Le 17, messe pour nos morts, défilé à Souvigny.
- Le 21, c’est le départ pour Dijon et la trouée de Belfort... il paraît qu’il y a encore quelques boches à faire courir. Ma petite Corrézienne m’attend, enfin elle me l’a juré... Le maquis Corrézien prend tournure petit à petit de l’armée. Lulu est mon hôte car il est sergent. On est entre copains car la discipline n’est pas grande, ils ne peuvent pas faire marcher des vieux maquis comme nous, au même point que les bleus. Je crois que le temps d’armée ne sera pas trop dur, ils parlent de nous mettre comme cadre pour organiser une armée avec des nouveaux que l’on mobilisera après les hostilités. Après la bagarre on nous a promis une perm d’un mois. On doit toucher demain 10 F au lieu d’une tune et une prime de 1 000 F qui va être la bienvenue car je suis à sec. Je suis toujours à la même arme chargeur au FM et voltigeur en même temps, car c’est-à-dire que j’ai aussi un fusil anglais. Je crois que j’aurais fait toutes les armes dans ce métier : mitraillettes, grenades,
FM, fusils, enfin que voulez-vous plus on en sait mieux ça vaut. Ma petite frangine et Michel me feront bien l’honneur de m’écrire un petit mot, et toi le père ça ne me déplairait pas non plus...
Suit une lettre aux copains : enfin une lettre de ma pomme…vous savez le travail ne manque pas dans le maquis… nous partons pour la trouée de Belfort. Le principal c’est que je suis toujours entier. Et vous que devenez-vous ? Guibreteau, quel boulot avez-vous fait-là-bas ? Raconte-moi ça. Et toi Auffray qu’en penses-tu de tout ça ? Mon cher Leray je serais sûrement en retard pour l’ouverture de la pêche 1945…
Mon cher Pierre Bodineau de tes nouvelles ainsi que celle de René Maindon, Pierrot Dupuis…, bien le bonjour à tous les copains de la boîte, ne sont pas à dédaigner. Cordiale poignée de main de votre copain Jacques.
- Le 22, on débarque dans une gare militaire près d’Auxonne et on s’installe à 4 km de Col-longe et Première.
- Le 23, pluie toute la journée, les troupes de Delattre de Tassigny vont au front. Nous sommes à 160 kilomètres de Belfort, la zone des armées est à 11 kilomètres.
- Le 27, départ pour Brazey en plaine.
Octobre 1944. Engagé dans l’armée régulière de De Gaulle
Le 1er octobre, il s’engage dans l’Armée Régulière, 1ère armée française avec ses copains d’Indret, pour la durée de la guerre...
- Le 3, permission pour Dijon.
- Le 5, je touche une prime de combat de 1 500 F
- Le 6, proposition de permission pour 10 jours avec délai de route. Lulu, camarade de cuisine, rejoint Toulon où il est rappelé.
- Le 7, formation des commandos. Lucien affecté au mortier de 30, Roger chauffeur et moi voltigeur.
- Le 8, les sous-offs en promenade à Dijon. Tout seul à la popote.
Pendant les périodes d’accalmie, Jacques fait la popote à la cuisine des sous-officiers : une vraie planque. J’avais déjà fait la cuisine dans le maquis pour les copains, ils m’ont dit que je me défendais, alors allons-y pour le Mess des sous-offs...
- Le 13, on touche de nouvelles tenues.
- Le 14, défilé à Sainte-Husage devant le colonel Schneider.
- Le 16, départ, on rejoint une colonne de voitures américaines sur la route nationale qui conduit à Apremont dans la Saône. A 5 kilomètres des lignes ennemies. On entend le canon.
- Le 19, départ pour Moffand à 4 kilomètres de l’ennemi.
- Le 20, on monte en ligne mais aucune perte.
- Le 21, Moffans près de Lure.
Pour les permissions il ne faut pas y compter pour le moment. Nous sommes dans la Haute-Saône à 4 kilomètres des premières lignes, et je vous prie de croire que le canon n’est pas paresseux. Nous montons en ligne demain, je passerai mes 21 piges avec les boches. Ne vous faites pas de bile, le moral est bon… Nous sommes nourris comme les Américains par boîtes de conserves, beurre, fromage, lait café condensé, chewing-gum et tabac anglais et même le papier hygiénique... Je vous écris, allongé dans la paille... vos lettres me font défaut, rien n’arrive de Nantes... Heureusement que j’en reçois de la petite de Brive sinon je serais devenu fou… Bonjour aux copains qui, j’espère, ont dû courir au bureau d’engagement ! Autrement gare à l’arrivée des Nantais...
- Le 22, idem puis je monte la garde et fais une patrouille.
- Le 23, j’ai 21 ans, une jeune fille d’un village au front m’offre un bouquet. Puis je suis de garde jusqu’à 3 h du matin avec Lafleur Roger. On reprend du service jusqu’à 7 h 1/2, puis patrouille avec la section. Avec Lulu on tend une embuscade et on tombe sur une patrouille marocaine de 10 hommes qui vont au repos. Aucune perte.
- Le 24, un blessé au ventre par grenade dans la 1ère compagnie. Lulu est en position.
- Le 25, on relève Lulu. Nuit blanche. Grégoire tire sur un chien croyant l’approche de l’ennemi, puis tous nos FM des avant-postes tirent.
- Le 26, on est relevés à 8 h du matin. A 11 h on part en embuscade pour protéger la section RoRo qui part en reconnaissance. On se planque à 200 m des boches. Roro avance mais ils sont repérés : 3 blessés chez eux par les mortiers. On rentre au camp et les boches attaquent Vacherene.
- Le 27, de garde en ligne. Enfin du courrier de la famille. Je suis fier d’avoir un frère et un père ayant fait leur devoir. C’est avec plaisir que je contemple cette photo, la famille est vraiment « crane », le père sous-lieutenant, le frangin dans les FFI et la sœur au tableau d’honneur...Toi, maman, tu as dû souffrir moralement mais sois tranquille, je suis toujours entier bien qu’un peu casse-cou. Cela fait toujours plaisir quand un chef demande un type un peu gonflé et me nomme d’office... On a toujours une petite pointe d’orgueil malgré tout… Le groupe des Nantais marche toujours de l’avant, Lulu est sergent, Pierrot et moi sommes 2ème classe, nous voulons finir la guerre dans ce grade. C’est un honneur pour nous. Maurice Loirant est cabo et le grand Guillerme 2ème classe aussi.
Je suis dans un gourbi de rondins, debout devant les boches et je t’assure que la position n’est pas commode pour écrire…Tous les journaux de Brive parlent du bataillon As de Coeur, nous sommes les rois. Je me suis engagé pour la durée de la guerre dans l’armée du général Delattre de Tassigny avec l’armée d’Afrique… La vie n’a pas toujours été rose, traqué par les boches, les GMR, les gardes mo-biles, les flics et les miliciens. Enfin pour nous c’est la vraie guerre et non plus de guérilléros… Je suis avec un cousin de Lidureau, tu lui donneras des nouvelles de Roger Lethinier, il est de Couëron. Un très chic type et j’ai appris qu’il était cousin depuis 15 jours et ça fait 18 mois que je vis avec lui. Moi je suis avec Lulu comme chef, Pierrot un Espagnol, un Russe et d’autres types, enfin une bonne équipe. J’oubliais d’embrasser cette pauvre Nana en m’excusant de l’avoir dupée pour le voyage à Paris.
P. S : Si tu voyais ma binette avec le casque, la barbe, les cheveux démesurément longs... Enfin le mâle poilu…
- Le 28, relève par la section As de Pique. Puis départ pour Besançon.
- Le 31, 6 h le matin départ en patrouille avec les Marocains. Avons tué l’estafette allemande à vélo. 8 h, Grégoire, René, Raymond et Jojo partent en patrouille avec les Marocains. Ils sautent sur une mine, Grégoire est tué, René a un éclat au-dessus du cœur, Raymond, Michel, Antoine et Jacques Belthé a la joue emportée. 7 marocains sont blessés mais René n’a rien. Il y aura 4 autres blessés dans cette journée.
Novembre 1944
- Le 1er, on part au moulin en position. Il écrit 3 lettres : une à son père, une à sa mère et l’autre à René Mocquard qui s’apprête à être père pour la deuxième fois. Dans cette dernière, il relate sa lutte contre les milices en Corrèze : après 9 mois d’escapades, surtout après les péripéties que nous avons passées… jamais nous ne revivrons cette vie de bandits avec les attaques à mains armées que j’ai faites contre les collaborateurs et les trafiquants du marché noir. J’en aurais au moins pour 50 ans de travaux forcés vu les tueries, mais tu vois cette vie ne m’a pas tourné la tête comme certains. Le besoin nous faisait agir et les coups étaient réguliers. Les guérillas pour nous c’est fini, nous voilà dans les troupes d’Afrique, de rudes gaillards mais question d’être gonflés nous nous vallons… ça fait plaisir de savoir que la famille fait son devoir. Le Michel et le père sousbite35, il doit bicher, moi toujours 2ème bidon… ils vont bien finir par m’en coller un ou deux (galons)... Je termine car la popote arrive. Oh, la bectance n’est pas dure à avaler avec le ravito américain, tout est par conserves même le papier cul est sur-vitaminé.
Dans la lettre à son père il ajoute : ici le froid commence à se faire sentir, les Marocains ont déjà les pieds gelés, pourtant il ne gèle pas encore mais il y a une humidité formidable et je te jure que dans les casemates il ne fait pas chaud… Vivement que nous allions en perm pour régler quelques comptes, je te prie de croire que si toute cette bande de planqués nous a oubliés, nous ce n’est pas de même. Garde moi si tu peux un pétard car j’ai perdu le mien et si nous allons en Allemagne, il me fera défaut. Impossible d’en trouver ici, les Américains les achètent à un prix fou. J’ai vu jusqu’à 40 000 F, surtout les pétards allemands.
P.S Dis à maman de faire gaffe dans les bois rapport aux mines que les Allemands ont pu laisser, car ici nous avons de graves dégâts… A Saint-Jean-de-Boiseau ce n’était pas le cas au Bois des Fous.
- Le 4, nous remontons en 1ère ligne et on fait des abris contre les mortiers. On en reçoit 4 ou 5 sur la gueule. Lulu part à Nantes.
- Le 6, nous sommes relevés.
- Le 7, lettre à sa mère où il signale que son copain Lulu va venir en permission à Saint-Jean-de-Boiseau : il faudra qu’il s’occupe de récupérer la paie que nous dévons toucher à Indret depuis notre départ au maquis, soit 9 mois 3/4. Il a eu cette info par Maurice Loirant. Je t’enverrai un certificat de présence au corps car maintenant je suis majeur depuis peu. Si l’affaire ne marche pas rondement, mets le père et Fred Payen dans le coup ils se débrouilleront bien. Je n’ai pas envie de laisser ce pognon à l’Etat et puis j’en aurai besoin pour me remonter après la guerre et aussi pour faire une belle nouba à mon retour. Autre chose maintenant, dis au père s’il peut nous faire rappeler Pierrot et moi officiellement dans la marine. Ce n’est pas pour nous planquer mais pour revoir un peu le pays... Nous partons au repos avant la fin de la semaine, le 9 novembre du côté de Sainte Husage. Dis à Lulu que Raymond est décédé...
- Le 8, on part au mess avec Pierrot, Kiki, Pépé.
- Le 9, quittons Moffans pour Gouënon au repos.
- Le 10, lettre à sa mère : nous sommes au repos dans un petit village du front, à part la boue et le froid nous ne sommes pas trop mal. Les permissions sont suspendues sauf les perms exceptionnelles, c’est-à-dire avoir le père ou la mère gravement malade ou un frère grièvement blessé, comme pour Michel avec un bon certificat du médecin le coup aurait été bon… (Son frère a été blessé un mois plus tôt sans trop de gravité). Tu me dis dans ta lettre que la maison avait été réquisitionnée par les boches, j’espère qu’il n’y a pas eu trop de dégâts, et mon vélo, ils l’ont peut-être emporté, car dans certaines villes ils se débinaient avec tous les moyens de transport qu’ils trouvaient. Comment se fait-il que tu as été coucher au château (le manoir de la Cruaudière lors de l’échange forcé avec les officiers Allemands voir plus haut). Ici ce qui nous manque, c’est les perms. S’il y avait une mobilisation générale, alors là rien à dire, mais voir une bande de planqués dans les villes qui doivent se ficher de nous ou suivre sur la carte de France l’avance de la 1ère armée française avec des petits drapeaux, alors cela me démonte… Pour Christiane, j’espère qu’elle continue de bien travailler pour que son frère soit fier en arrivant d’avoir une sœur calée et puis qu’elle puisse m’apprendre l’anglais car avec le ravitaillement américain, j’y comprend que dalle. Pour Michel, qu’il se fasse démobiliser, il en a assez fait, pas la peine qu’il se fasse casser la gueule pour un tas de fumiers de 20 à 30 ans qui sont bien au chaud, il y en a bien assez d’un chez nous dans la mouscaille… Ils demandent chez nous des volontaires pour le Japon. Je trouve que ce sera la place aux copains qui ne veulent pas quitter les jupons de leur mère à y aller… Mon moral est bon... j’ai toujours la volonté de vaincre.
Il parle aussi d’un copain, Daniel Lafleur et correspond avec sa copine de Corrèze mais aussi avec une autre de la Côte d’Or. Cela me fait une ou deux lettres par semaine…On se débrouille comme on peut.
Il reste 48 h à cet endroit où ils sont sous les mortiers ennemis. Puis il rejoint Gouenhans pour 48 h de repos.
- Le 16, lettre à son père. Il a changé de lieu et se trouve toujours près du front à 10 kilomètres plus au nord. On est à 4 kilomètres, enfoncés dans un bois. Dans une nuit il tombe 10 cm de neige qui a fondu le lendemain et avec la pluie il y a de la boue par-dessus les souliers... il fait très froid.
- On sent qu’il est désabusé... manque d’action et injustices à ses yeux : trop de flics, de GMR et de gardes-mobiles qui nous ont rejoints après le débarquement et ils sont tous cabo, cabo-chefs et serpates... Après le pinard et le tabac, le courrier est l’un des plus grands réconforts du poilu. Pour nous un coup doit se préparer dont tu auras sûrement des nouvelles. Pour cette fête, 1,5 million de pralines36 mangées par 2000 boches, tu comprends qu’ils vont en avoir une indigestion. Je me doute que ton travail ne manque pas avec tous les éprouvés de cette tuerie. Le mien non plus ne manque pas et je t’enverrai les veuves allemandes. On est rosse quand même, mais que veux-tu, avec ce casque, on se croit tout permis. Je remercie tous les officiers qui m’envoient des compliments... tu leur donneras le bonjour de ma part, en particulier à Payen qui, j’espère n’est pas trop fâché de l’escapade du trio. (Référence au départ du groupe de résistants locaux pour le maquis). Bien des choses à tes trois dactylos. (Dans son service à Indret ?). Il n’y a que Yvonne Nédelec dont mes souvenirs me font défaut, enfin peut-être qu’en la revoyant ? Jeannette Fleury doit être mariée où en prend la voie. Pierrot me demande ce qu’est devenu Ligondais (chef des résistants de Basse-Indre). Je m’interromps car ça à l’air de chier à la Bastille. Ce n’est rien. Il a été arrêté et envoyé en camp de concentration dont il reviendra vivant après la guerre qu’une patrouille allemande qui vient nous rendre visite. Nous les recevons avec l’honneur dû à leur rang…
- Le 17, nous attaquons les lignes allemandes et les enfonçons de 8 kilomètres. Pertes minimes par les mines.
- Le 18, partons en avant-poste du côté de Saint Escâge, à 4 kilomètres dans les bois d’où on surplombe un village. A 9 h du matin on part en avant. Après 9 km on rencontre des blindés de chez nous et on atteint le village de Sauge. Nous reprenons 10 kilomètres et à suivre…
- Le 20, partons de Sauge
- Le 21, toujours à Braseville. Nous attaquons un village, dernier fortin avant Belfort.
- Le 23, départ pour Belfort où on arrive en ville à 6 h du matin. Lettre à son père : nous venons de rentrer dans Belfort il y a environ deux heures. Nous fûmes salués par une dizaine de mortiers que les Allemands nous balançaient sur la figure du haut du dernier fortin qu’ils tiennent encore, mais les terroristes corréziens vont s’en charger d’ici peu. Il est environ 8 h, nous sommes dans un magasin de chaussures et les proprios sont chouettes pour nous. Mettez-vous dans l’idée que Belfort a été prise par la 1ère armée, c’est-à-dire des Français ! J’espère être de retour en perm pour Noël, on fera un bon gueuleton. Les FFI de Paris se préparent à faire la relève des troupes combattantes de l’Est. Prépare la dinde et les huîtres car j’ai l’impression que la nouba va battre son plein. Voilà 10 mois que j’ai quitté le pays pour rejoindre l’armée de De Gaulle, nous avons perdu le goût du muscadet. Je viens d’apprendre que Pornic passe de main en main (la poche) Il faudrait que le maquis de Corrèze fasse une descente là-bas. Chaque fois que les boches nous sentent devant eux, ils se débinent... encore terroristes crient-ils. Terroristes, ils en ont une peur bleue.
- Le 24, toujours à Belfort. Les Allemands nous canardent des forts.
- Le 25, on quitte Belfort les Allemands ayant décroché.
Les jours suivants ils vont de village en village sans trouver d’opposition.
Décembre 1944
- Le 4, il est à Fermont.
- Le 6, départ en repos à Belfort.
Arrêt du carnet journalier le 8. Désormais, c’est sa correspondance qui nous permet de suivre son combat.
- Le 8, il est toujours à Belfort en repos après 50 jours près du front. Encore 3 lettres à son père, son frère René et sa mère. Sa permission est repoussée au début janvier. Son copain Lulu est rentré de perm et lui donne quelques nouvelles. Certaines le font bondir : je vois que là-bas c’est le beau bordel. Le fiancé de Jeannette Fleury est sergent alors pour nous on serait au moins adjudant. Pierre Petit FFI, je me demande si les types qui ont enrôlé ces gaillards-là ne sont pas tombés sur la tête, et puis il faut bien se rendre compte que tous ces nouveaux gradés et FFI auront des comptes à rendre dans l’armée régulière. Dans l’armée Delattre, des poi-lus qui ont fait l’Afrique, l’Italie sont à peine 1er jus et chez nous du maquis, des copains de plus de 18 mois sont comme moi au même point. Enfin, on va rire à notre retour.
Ici, à Belfort, je vois par moi-même la vie à l’arrière. Ecœurante pour nous mais cette vie a une différence avec Nantes, car ici on commence à nettoyer (15 fusillés environ par jour et ce n’est pas rare de voir 1 million d’amende à des commerçants).
Nous allons, après ce repos à Strasbourg, mettre le holà car il y a encore des coups de feu par les fenêtres et je te prie de croire que les terroristes vont faire le nettoyage par le vide. D’ailleurs, De Gaulle a envoyé un ultimatum à la population : pour 1 poilu assassiné, il y aura 5 fusillés parmi les civils les plus suspects. Je donnerai beaucoup pour faire partie des troupes qui iront au nettoyage à Nantes avec nos tirailleurs marocains et je te jure qu’ils ne rigolent pas, eux ! … La maladie nous guette, tous rhumatismes et la poitrine... aussitôt arrivé je passe la radio.
P.S Papa, j’oubliais, je suis en repos et je manque un peu de pognon, surtout que Lulu est venu et n’avait pas le rond, je lui en ai donné un peu et je suis à plat. Si cela est dans les mesures de ton possible envoie-moi un petit mandat, je te rembourserai à mon retour.
- Le 10, les jeunes filles rencontrées à Aubasine lui offrent leurs voeux pour l’année 1945. Lettre de Jeannette. Vous me demandez ce que devient Henriette ? En ce moment elle est à Paris depuis 2 mois et Zézette est toujours terrible, elle vous envoie le bonjour. Il faut que je vous dise, mais vous devez le savoir, qu’Andrée a pour vous une grande affection et qu’elle a bien de la peine lorsqu’elle n’a pas de vos nouvelles. Je vous assure que lorsqu’elle parle de Jacques c’est quelque chose et ça je le comprends bien.
- Le 12, lettre à son père, toujours de Belfort. Finalement une perm lui sera accordée le 19 décembre pour passer les fêtes de fin d’année en famille. Il arrive avec un Breton de Quimper qui a fait aussi le maquis en Corrèze et va rester deux jours à Nantes. Il compte sur son père pour pouvoir lui faire visiter Indret et que la famille lui fasse un bon accueil. Il compte revoir Bouanchaud de Brains. Dès notre arrivée nous bondirons à la caserne Cambronne, tâche de préparer quelques bonnes bouteilles de muscadet...
Lettre de René Mocquard à son demi-frère
- Le 13, Nous allons peut-être être motorisés. Tu dois connaître Le Brun, le fils du percepteur du Pellerin, c’est lui qui a monté le drapeau français au sommet de la cathédrale de Strasbourg. Jean Sorin a été nommé lieutenant, Courson sous-lieutenant, le père à Jean Long adjudant. Les sergents, ce sont des FFI qui sont venus des pays environnants. On a choisi dans les plus méritants pour les capo-raux. Jean Long et Mainguy, que tu connais, ont ce grade. Nous sommes une sec-tion de Montagnards avec quelques FFI de Bouaye. Si ces gars-là n’avaient pas eu leurs galons nous aurions été commandés par des naphtalins ce qui n’a rien de rigolo.
Janvier 1945
- Le 22, Belfort, Il est de retour à la caserne depuis le 18 après trois jours passés à Paris avec son copain Pierrot, sa cousine et Lucette Talonneau. A son arrivée à Belfort, il subit plusieurs tempêtes de neige. Il y en a plus d’un mètre dans les rues. Surprise aussi, il est affecté au 9ème zouave et reçoit la tenue adéquate : tu parles d’une touche que nous avons avec la chéchia !
- Le 28, Belfort. Lettre à sa mère qui donne des nouvelles locales. Celle-ci a fait une chute et se plaint de son dos. Son frère Michel est en formation à Couëron. Plusieurs de ses camarades sont partis sur le front de l’Est. Le Commandant Saphors est rappelé à Indret, le ministre de la Marine n’ayant pas pu le remplacer. Jacques suit une instruction avant de remonter en ligne.
- Le 29, son père lui apprend qu’il y a eu une attaque à Plessé où se trouvait précédemment Michel où nous avons été avec Lucien. 30 boches de tués et 25 prisonniers et quelques blessés. Nous avons 2 tués et 5 blessés. Certaines jeunes filles m’ont demandé l’adresse de poilus pour être marraines. Elles sont de bonne famille et demandent un filleul pour correspondre…
Février 1945
- Le 6, lettre à sa mère, son père et son frère. Il est dans le Haut-Rhin en pleine montagne d’Alsace à Soultzeren. Les routes sont démolies, les camions ont de la difficulté à passer et les trains ne fonctionnent plus : ici les habitants parlent allemand, il leur était défendu de parler français mais malgré tout nous sommes bien reçus. Les Allemands ont rendu plus français, en quatre ans, les alsaciens que les Français eux-mêmes en vingt ans. A mon avis la guerre est bientôt finie et nous ne tarderons pas à revoir le pays. Je compte aller en perm en avril.
- Le 8, Soultzeren. Lettre à son frère Michel. C’est avec joie que je suivais tes épopées militaires. J’ai appris qu’on avait attaqué à Plessé et le résultat était assez satisfaisant. Demain nous avons la visite de Delattre de Tassigny dans une petite ville à 5 kilomètres. Je ne suis pas du défilé car je suis de popote des officiers. Quand on défile c’est sur l’air de Pan Pan l’Arbi et je te jure que c’est très entraînant. Son père a beaucoup de demandes de jeunes filles pour être marraines de soldats et lui demande s’il peut en placer quelques-unes dans son unité. Pour les marraines de guerre, il est un peu tard ici car les copains ont déjà fait leur choix. Pour Pierrot cela en fera deux.
- Le 11, Soultzeren. Lettres à son père, sa mère, sa sœur et René. Il est en repos et toujours affecté à la popote. Le bruit court que nous irions sur le port de la Rochelle, mais je n’y compte pas ce serait trop beau pour moi… remarque qu’un petit tour en Allemagne me ferait plaisir Je viens d’apprendre le caractère et la vie des Alsaciens, ce sont de braves gens plus patriotes qu’en France. Ils ont un parler doux et chantant qui diffère avec celui de l’Allemand. Ils ont encouru des privations pires que les nôtres. Il leur était défendu de porter le béret parce que ça rappelait la France, d’avoir des batteries de cuisine en français tels que sel, poivre etc… de jouer aux cartes, enfin un tas de choses que nous n’avons pas connues. La plupart des jeunes étaient enrôlés dans l’armée allemande, d’ailleurs pas mal ont été libérés et aussitôt démobilisés. C’est un pays qu’il faut connaître pour apprécier. Le paysage n’est pas mal, nous avons traversé à pied un tas de stations thermales, telle Gérardmer et de grands hôtels de sports d’hiver, exemple au col du Bonhomme, le Lac Blanc, le Lac Noir, le col de la Schultz etc… Je n’en aurai jamais vu autant en temps de paix. Hélas, j’ai vu aussi des grands cimetières de la guerre 14/18, des croix de bois à perte de vue.
Il parle ensuite d’un courrier reçu de Phô Tran Gia Ba, un Annamite du camp de la Cruaudière avec lequel il était devenu ami. Celui-ci habite à Chantenay Malabry et est chauffeur de taxi, il lui demande de ses nouvelles. Jacques apprend aussi la naissance d’un fils, Dominique, chez René Mocquard : un nouveau rejeton descendant de cette grande famille de Bousous. M Mocquard ancien Bolchéviste… Parlant de sa belle-sœur Gy : dis donc elle s’arrêtera bien un jour (c’est leur 2ème enfant l’autre c’est Jean-Pierre) ou espérez-vous gagner le prix Cognac, il est temps, dépêchez-vous… Enfin tout cela sera pour la prochaine guerre, leur oncle sera au moins sous-lieutenant… à bientôt pour le baptême…
Sa mère est maintenant logée à Nantes pour être plus près de son mari affecté à la caserne Cambronne. Ne bazardez pas la Cruaudière, car j’aime ce petit coin tranquille et si après la guerre, vous ne vous en occupez pas, je le prendrai en main, ne vendez rien à moins que vous ayez un besoin pressant d’argent.
A sa sœur : il lui indique que Maurice, dont elle est la marraine de guerre, est malade et hospitalisé. Dès que j’aurai son adresse je lui remettrai la lettre que tu m’as donnée et lui dirai de penser à ses petites marraines.
- Le 16, Colmar. Il a attrapé la rougeole et est hospitalisé à l’hôpital de la ville. Je n’ai eu que deux jours de fièvre, je suis dans ma convalescence et pas malheureux, dans une petite chambre à part avec eau chaude, chauffage central. Pour les repas on ne peut mieux ; le matin café au lait avec tartines beurrées ou confiture, le midi je suis au régime sans viande, mais un tas de petites choses qui la remplacent très bien tels les œufs sur le plat, de la purée, des pâtes, épinards etc… fromage ou entremets, comme aussi du pain blanc et du vrai ou de la brioche. A quatre heures idem le matin et le soir idem le midi… les infirmières sont très gentilles et aux petits soins. Je suis le seul cas de rougeole ou soi-disant rougeole ? L’hôpital est mi- civil mi- militaire. Ici il fait un temps épatant, ça sent le printemps et bientôt les perms. Je compte être à Nantes vers mai, on baptisera Dominique si ce n’est déjà fait…
- Le 21, Lettre de sa mère. Michel est toujours à Couëron, il est téléphoniste. Les jeunes sont fâchés car on a supprimé la musique et les bals… Je pense que tes copains vont rester à Indret…. ils sont indispensables à leur étau…
- Le 22, Colmar. Lettres à son père, sa mère et René. Sa rougeole est finie mais il doit rester à l’hôpital 20 jours et c’est long pour lui. Figure-toi que j’ai couru toute la ville aujourd’hui pour savoir où était passé mon régiment, même au bureau de la place il est introuvable... c’est un comble ! Je vais demander à sortir d’ici au plus vite car je m’ennuie passablement... mais la nostalgie du grand air et de l’aventure me prend, qu’est-ce que tu veux je ne suis pas fait pour me mettre dans du coton et je me demande comment je vais retrouver ce zouave. Tu parles d’un cirque... enfin on verra quand j’aurai fait 10 fois le tour de France. J’arrêterai au premier café pour prendre un bac et j’attendrai qu’un mec en chéchia passe...
Mars 1945
- Le 1er, Lettre de sa sœur qui est en pension au collège Aristide Briand. Elle a le cafard et est allée voir une voyante, Mlle Malidum, qui lui a tiré les cartes : elle m’a dit qu’un jeune homme blond qui me touche de près sera malade (toi sans doute), qu’un jeune homme brun m’enverrait une lettre d’amour et qu’il m’embêterait. Une jeune fille blonde essayera de le détourner de moi et enfin qu’une jeune fille veuve ou divorcée me voudra du mal. Et qu’il y aura la mort de quelqu’un qui me touche de près…. La voyante avait vraiment un don, car hélas sa dernière prédiction s’avérera exacte.
- Le 7, Lettre à son père et sa mère. Il a retrouvé ses copains depuis le 2 mars. Pierrot dans un avant-poste depuis 8 jours qu’il y était, moi je n’en ai passé que 5 et je t’assure que j’ai compris. Nous avons vécu ce que les fantassins de 14-18 ont vécu, c’est-à-dire la guerre des tranchées. Impossible de mettre le nez dehors, il faisait un temps épouvantable et d’ailleurs nos voisins d’en face c’était du kif. Il m’a passé un grêlon pas loin du bout du nez et je t’assure que j’ai pensé à me baisser, et les marmites ! De quoi faire cuire la soupe pour une armée. Enfin nous voilà descendus en 1ère ligne et cela va mieux. Je n’ai pas voulu prendre de convalo. J’avais hâte de retrouver les copains. On parle de nous embarquer pour l’Algérie... ça sent pas bon ! Enfin, ce qui est écrit est écrit. J’ai appris que les gars de la 43 étaient indispensables à Indret, tant mieux pour eux, mais j’aurais eu plaisir à les voir avec moi ces derniers temps, on aurait récolté une barrique d’huile… Les gars d’Indret sont d’éternels planqués… Je vois que tu n’es pas mal non plus, que vous vous payez du théâtre et je suis content d’apprendre que vous vous payez du bon temps. Sa petite copine de Corrèze semble très accro et a réclamé une photo de la famille que sa mère lui a envoyée. Bien reçu les photos et la petite va être contente, cette môme, si je la lâchais, elle en tomberait malade. Deux de ses camarades m’ont écrit et m’ont prié de continuer les correspondances avec elle. Pour le moment je n’ai nulle envie de la lâcher. Tu as dû avoir la visite de Maurice qui est en convalo...
- Le 9, Herlisheim. Lettres à sa soeur, son frère Michel et son père. Nous sommes à 1 kilomètre de l’Allemagne, le village où nous habitons est entièrement détruit et les pauvres gens sont sans abris. On est à 80 mètres des boches en plaine, au flanc d’une digue comme qui dirait celle d’Indret, avec les prés. Impossible de passer la tête au-dessus de la tranchée sous peine d’être décapité. Ça marmite toujours un peu mais l’air est quand même plus sain qu’en avant-poste.
Son père est Lieutenant et occupe de nouvelles fonctions à la caserne Richemont…tes petites dactylos t’ont elles suivi ? Et ton adjudant, tu lui diras qu’il nous manque un juteux de compagnie. S’il veut venir dis-lui d’amener son casque et de prendre une assurance-vie. Guillerme repart en perm et je lui ai donné du tabac, des bonbons et du chocolat pour Kiki et Jean-Pierre. Je garde les cigarettes pour ma prochaine perm. Nous avons reçu ces derniers temps des cadeaux offerts par des jeunes filles de Corrèze... On pense beaucoup à nous là-bas... surtout ma petite Dédé.
A sa sœur il indique que Pierrot reçoit assez régulièrement des nouvelles de sa marraine, il en est charmé. A ma prochaine perm je t’apporterai beaucoup de friandises.
A son frère Michel qui lui demande de lui envoyer des cigarettes : ce sera fait à ma prochaine perm, on reçoit 30 cigarettes par jour et j’en mets au moins un paquet de côté chaque jour. Pour moi les amours marchent toujours et je vois que la petite Marie te préoccupe aussi. Profite de ton temps en militaire c’est là où l’on s’amuse le plus.
- Le 11, la marraine de Jacques est Nénette de Rocheballue, une fille un peu délurée. Elle lui écrit : ce matin je me suis fait photographier en FFI sac au dos, j’avais la culotte de Robert, la veste de Roger et le calot de Julot. Je suis toujours le même démon. Je suis plus courageuse que toi pour écrire. Ta marraine.
- Le 13, Lettre à sa mère. Il attend sa perm avec impatience. Ici il fait un temps splendide et ça me rappelle les belles tournées au bord de l’Acheneau. J’ai confié à Guillerme un petit fourniment (qu’il a piqué à l’armée). Ce qui m’intéresse le plus là-dedans c’est la toile de tente que tu laveras et mettra bien de côté, à ma prochaine perm j’en apporterai une autre. De cette façon j’aurai une tente complète pour aller à la pêche. Sa mère a pu toucher son argent réclamé à Indret. Si tu as besoin d’argent, ne te prive pas pioche dans mon pognon… Avec ma petite ça marche toujours, quoique l’autre jour je lui ai fait un peu de chagrin. Figure-toi que cette petite sotte me demandait des nouvelles exactes sur un de mes camarades qui fréquentait une de ses petites amies et qui a cessé les correspondances. Elle me demandait de lui dire la vie qu’il menait. Alors je lui ai écrit que les histoires des copains ne m’intéressaient nullement et que je n’aimais pas les cancanages. Si tu voyais la lettre qu’elle m’a envoyée, elle en a chialé pendant deux jours, aussi m’a-t-elle apitoyé et je lui ai écrit illico avec un peu plus de douceur. Enfin, maintenant l’orage est passé et tout va pour le mieux. Ci-joint une vue d’Aubazine, la croix indique la grange où nous couchions. C’est la petite qui me l’a envoyée. Lettre du 11, sa mère indique qu’elle a été cambriolée et elle est tombée nez à nez avec sa cambrioleuse affublée de ses vêtements : tu penses avec quelle ardeur je l’ai emmenée au premier agent et je suis rentrée en possession d’une partie de mes vêtements et des bijoux de Christiane qui avaient été vendus à un bijoutier de la place Saint-Pierre à Nantes. Il me reste une perte d’environ 200 F plus 1000 de poules qui m’avaient été volées la semaine d’avant. Léon de la Tour de Buzay chez Gérard de Rouans a été tué en enlevant une grenade qui était minée. Il a été éventré. Un des frères Barrant de Rouans, ceux qui sont venus prendre mon vélo, et qui était sous le maquis a été tué.
Son père précise que : ce sont des gonzesses venues voir des FFi à Saint-Jean-de-Boiseau qui se sont introduites chez eux, ont couché dans notre lit et emporté bijoux et robes enfin tout ce qu’elles ont pu prendre… Mais le père Belthé a pris l’affaire en main et tu sais que je suis un bon chien de chasse. J’ai réuni les inspecteurs de police de Nantes et de fil en aiguille 48 h après tout ce joli monde était sous les verrous. Et c’est maman qui a arrêté la voleuse se trouvant face à elle rue de Verdun. La voleuse était accompagnée d’une jeune fille qui portait le manteau de Christiane.
- Le 16, autre lettre à sa mère du même lieu : j’ai appris le cambriolage dont la maison a été le théâtre. Tu peux dire à ces messieurs les gendarmes du Pellerin qu’ils mettent la main au collet du voleur ou voleuse avant mon arrivée de perm, car je me vois dans l’obligation d’employer la loi du maquis si je le trouve. Vaut bien mieux pour lui qu’il soit en cabane… Qu’elle idée avez-vous tous en ce moment pour que j’aspire à une convalescence, les moments sont trop émouvants en cette période pour que je laisse tomber les copains et puis je serais fâché de ne pas participer à certaines aventures. Tu sais ma petite maman, je suis dans le bain eh bien j’irai jusqu’au bout quoiqu’on en dise ! Il me sera infiniment doux de four-bir le Grand Reich qui n’est qu’à peine 500 mètres de moi. Qu’est-ce que tu veux j’ai des moeurs spéciales moi, le sang appelle le sang (voir Victor Hugo). Ô mais je deviendrai quelqu’un « si les petits cochons ne me mangent pas ». Trêves de plai-santeries, j’ai l’intention de passer une partie de ma prochaine perm à Orléans (où les Belthé ont de la famille), l’air sera plus sain que celui de ce fichu pays de chouans de Boiseau. Et puis, les camarades de Claudette sont charmantes… Je t’écris en musique, le ton est bas comme ses orgues. Ce sont peut-être les orgues de Staline.
- Le 21, lettre d’un copain d’Indret : j’ai souvent de tes nouvelles par la patronne du Moderne qui est à présent à l’Andouille… Je suis toujours à Indret mais pas pour longtemps. Les gars de la boîte de la classe 43 qui sont nés dans les six premiers mois de l’année s’en vont. Le premier trimestre est déjà rendu, le second s’en va le 30 de ce mois. Nous comptons partir le 15 avril. Le lieu d’incorporation est Vannes aux équipages de la flotte, sans doute comme fusiliers-marins. René Maindon s’en va jeudi à Angers, il ne sait pas encore dans quelle arme. Les copains te souhaitent le bonjour. Le père Allard a reçu une lettre de toi. Tu parles s’il était content ! Tu sais il parle souvent du petit matelot. Je crois qu’il va partir à la retraite au mois d’avril. J’ai eu hier soir la visite de Vadé. Tu sais bien Destrumel. Il est en permission pour huit jours. Ça fait 6 ans qu’il n’était pas venu en France. Versé dans les fusiliers, il a fait toute la campagne de Tunisie, le débarquement en Normandie. Il combat à présent vers ton côté à bord d’un char d’assaut. Il est quartier-maître et espère passer bientôt quartier maître chef. Mon pauvre vieux, tous les gars de notre âge ici sont fous ! Ils se marient tous. Mayence, Dupuis, Legal, Pipot etc.… et ça continue. Je crois pourtant que ce n’est guère le moment ! Léon...
- Le 24, Alsace, lettre à sa mère et à son père : je suis en repos dans un gros bourg d’Alsace et je vous envoie deux colis de 3 kg. Je partirai en perm fin avril et j’en profiterai pour me faire soigner les oreilles car, depuis ma rougeole, j’entends de moins en moins. Cela m’est très gênant en ligne, surtout quand je suis de garde la nuit à 50 mètres des boches. Puis on ira aussi à Orléans. Ici le moral est super et avec la petite ça gaze à plein tuyaux. Elle me demande de venir passer quelques jours à Aubazine car je lui ai fait part de ma répugnance à aller à Nantes... Dans ce pays de maquis, elle se fait des illusions. Elle est bien gentille mais je ne veux pas me priver des moments que j’ai passés auprès de toi. Michel et Christiane se plaignent que je ne leur écris pas souvent et pensent que je suis fâché. Rassure-les. J’arrête, j’ai la popote à faire pour 130 poilus avec Roger un gars de la Cha-bosse41. A son père il indique qu’il y a 5 jours il était en position sur les berges du Rhin. La mort de Léon de Buzay m’a fait de la peine. C’était une grande gueule mais un type qui en avait dans le ventre. La peine m’est d’autant plus grande que je m’aperçois que les titis ne sont pas bien instruits sur les pièges de toutes sortes qu’ils sont appelés à trouver sur leur chemin dans une avancée. Que font les cadres, étant allés à Paris au cours de déminage, ils essaient peut-être de détecter les mines en verre comme Chaperon. Vraiment je ne les verrai pas dans notre coin où toutes les ruses possibles et inimaginables sont employées par les Allemands, dans des pièges à cons comme on les appelle. Une grenade trouvée à terre dans un ancien terrain ennemi ne peut-être que piégée. Quand le bataillon est en ligne, je suis en ligne avec les copains, ne me demandent-ils d’ailleurs pas ? car tu sais je n’aime pas être à deux mètres derrière. Je viens d‘apprendre que j’ai une citation pour bonne tenue au feu. Encore une barrette de plus que je ne porterai pas d’ailleurs.
- Le 27, Alsace, lettre à sa sœur : j’ai reçu ta dernière lettre avec plaisir. Je ne suis pas fâché avec toi, tu sais bien que j’aime ma petite sœur. Je sais que tu gazes pas mal à l’E.P.S… Vois-tu madame Cuvill ? Si oui, donne-lui des nouvelles de ma part. J’ai fait partir un colis par Guillerme qui est parti en perm, tu auras des chocolats, des bonbons etc… et j’en ai envoyé un deuxième à papa pour le tabac et les cigarettes. Quand je vais venir en perm fin avril je tâcherai d’en emporter d’autres. J’ai aussi une lettre de Michel. Ma chère petite Christiane je termine ma lettre car je profite d’un peu de repos pour mettre mon courrier à jour. Tu donneras bien le bonjour à ta petite camarade. Bon baiser de ton frère. Jacques. Il envoie une dernière lettre fin mars à sa famille dans laquelle il indique sa joie d’avoir enfin franchi le Rhin et d’être en Allemagne près de Karlsruche. Il sera tué le 6 avril dans cette ville du Duché de Bade. Voici dans quelle circonstance : Alors qu’il est au front dans le Hartwald, à 8 kilomètres au sud de Karlsruche, après une belle opération de surprise où nous avons mis hors de combat une compagnie allemande. Votre fils se trouvait avec sa section devant un fort Blockaus qui était, quoique que pris à revers, encore bien défendu. La section de Jacques va pour donner l’assaut, mais les boches les ayant aperçus, se mettent à leur tirer dessus. Le groupe est pris dans une embuscade. Pierre Orieux est touché à la jambe et à l’artère fémorale. Jacques a la trousse de secours et, voyant son copain en danger, rampe pour le secourir mais au moment où il arrive à son côté et lui donne les premiers soins, il est tué d’une balle en pleine tête et meurt sur le coup. Pierre Orieux s’en sortira mais restera traumatisé et se culpabilisera d’avoir vu son meilleur ami rendre son dernier souffle dans ses bras pour lui sauver la vie. Dans un premier temps il sera inhumé au cimetière de Cronenbourg à Strasbourg, carré D, rangée III tombe numéro 23. J’ai voulu qu’aucun des morts de la Compagnie, ne soit enterré en Allemagne. Votre fils a été vraiment un excellent soldat au feu comme au repos, un exemple pour tous et je vous dirai que, l’ayant employé aux cuisines au moment où nous étions au repos à Gundersheim, il me dit. "Mon lieutenant cela m’est égal d’être employé en ce moment mais dès que nous remonterons en ligne je veux rejoindre mes camarades"... Ce que je lui permettais… Je vous assure que des soldats comme lui on les aime beaucoup, écrira à son père le Lieutenant Bertin qui commandait le 9ème Zouaves. Lettre au père de Jacques du 3 juin 1945 rédigée par le lieutenant Bertin qui commandait la 1ère compagnie du 9ème zouave. Jacques ne recevra jamais les deux dernières lettres de sa mère du 2, et du 17 avril. Le 2, Mon cher petit, aujourd’hui lundi de Pâques, Michel est venu avec un copain pour déjeuner. Il a fait 35 km à pied pour passer 48 h à la maison. Nous avons été bien contents de le voir et nous avons bien pensé à toi. Guillerme est venu prendre le café avec nous et nous a dit qu’il avait peur que les permissions soient supprimées. J’en ai tout le cafard, surtout que je sais que tu dois voir le médecin pour tes oreilles et du moment que tu en parles c’est que cela ne doit pas très bien aller. Souffres-tu ? J’ai hâte de te voir arriver et de mettre tout cela au point. Ton père part mercredi pour Cholet à l’école des cadres pour un mois. Cela m’a fait de la peine de voir repartir Michel, vivement que tout cela finisse et que je vous vois revenir à la maison. Ici rien de nouveau, quelques-uns de tes camarades de la classe 43 sont partis, c’est une bien triste chose de voir partir ses pauvres petits… Qu’en penses-tu ? A bientôt une bonne lettre de toi et surtout ton arrivée. Gros baisers de ta maman. Le 17, Cette dernière lettre de sa mère est poignante quand on connaît ce qui s’est passé et que la famille ignore encore. Mon cher petit. Toujours sans nouvelle de toi et très inquiète. Comme convenu, je pars à Orléans le 1er mai, j’espère que tu pourras aller me rejoindre. Averty le boucher (de Boiseau) s’est tué hier en tombant de voiture. Tout le monde va bien et espère te lire bientôt. Gros baiser de maman. La famille sera informée du décès fin avril et recevra ses effets personnels le 29 : 1 montre bracelet, 1 chaînette de cou avec trois médailles, 1 médaille sur fond en étoile, 1 briquet, 1 rasoir, 1 couteau, 2 mouchoirs, 1 passe-montagne, 6 paires de chaussettes, 1 trousse à couteau, 1 paire de gants de laine et son reliquat de solde 1 368 F. Les lettres de sa mère reviendront à la Cruaudière depuis l’Algérie où le régiment de Jacques se trouvait depuis. Mention : retour le destinataire n’ayant pu être atteint… Le corps de Jacques ne reviendra, pour être inhumé au cimetière de La Montagne, que plusieurs mois après.

Jean-Luc Ricordeau

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Edmond Bertreux

  1 - Origine familiale Les ancêtres d’Edmond Bertreux, sont originaires de Saint Jean de Boiseau du côté paternel et de Bouguenais du côté maternel. Sa mère Marie, née David, est la fille d’un patron pêcheur des bords de Loire vivant quai de la vallée à Bouguenais. Paul David a été immortalisé devant sa maison, dans sa plate, par Pierre Fréor. Bien plus tard, Edmond, son petit fils, devenu peintre immortalisera sur de nombreuses toiles ce paysage bucolique du bas de Bouguenais.    Son grand-père paternel, Jean-Marie, habite le village de Boiseau en face de la place de la République où se trouve l’arbre de la liberté.   Lorsqu'il a fini sa journée de travail à Indret, il effectue des travaux agricoles dans sa vigne pour "mettre un peu de beurre dans les épinards". Son fils Jean, le père d’Edmond Bertreux, est dessinateur industriel aux Chantiers de la Loire à Nantes. Il est par ailleurs peintre amateur et se retrouve régulièrement à Saint-Jean-de-Boiseau pour y ex

Les mattaras : vestiges de l'âge du bronze

  A la place de l'actuel bourg de Saint-Jean, des objets en bronze furent retrouvés en un lieu appelé « le trait de la cour », dans le lotissement actuel des Violettes. C'est dans le courant du mois d'avril 1821 qu'un vigneron du bourg de Saint-Jean-de -Boiseau brisa avec sa houe, en travaillant dans sa vigne un plat de poterie commune recouvert d'une assiette de la même terre contenant huit instruments en bronze et longs de 6 pouces (162 mm). Le vase était encastré dans une cavité de rocher faite avec un outil aigu dont on reconnaissait les traces sur les parois. La pierre était de nature cornéenne, elle était désagrégée en fragments de diverses grosseurs. Le sol était recouvert de 9 pouces (250 mm) de terre végétale et planté de vignes. L'endroit où furent trouvées les armes dans le clos précité est appelé « le Fort Giron ». Cette parcelle se trouve en bordure de la route du bourg au Landas, (actuellement à partir de l'école privée des filles sur 75 m

Bénédiction des trois cloches

  Le clocher de l’église de Saint-Jean-de Boiseau retrouve son éclat, après une importante restauration. L’étage qui manque depuis la fin du XVII ème n’enlève rien à son intérêt. Sous l’habillage d’ardoises, une très belle charpente, a été visible quelques semaines par les habitants de la commune. Cette tour de bois massif, appelée beffroi sert à porter les trois cloches et limiter les efforts, qu’elles engendrent lors de leur fonctionnement, sur la maçonnerie. On ne les entend plus émettre les sons qui résonnaient autrefois pour annoncer les évènements, bons ou mauvais, qui marquaient la vie dans la cité. Pourtant elles sont toujours en état de fonctionner à l’aide d’un équipement électrique, mais aussi manuellement à l’aide d’une corde située dans la chapelle Sainte-Anne. Ces cloches ne sont pas les premières que le fier clocher abrite. En effet, avant la révolution il y en avait également trois dont nous avons connaissance grâce aux rapports des cérémonies de leur baptême.